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8 juin 2012 5 08 /06 /juin /2012 16:06

 

 

Pour Navia

 

« Dis, comment est-ce que tes voyages t’ont transformé ? Quel type d’homme es-tu devenu ? ». Les questions d’une amie, venues me surprendre. Qui sollicitent ce qu’il reste de plus mystérieux, de moins visible peut-être, après tout ce temps, tous ces voyages. Comme une figure votive qui, enterrée, féconde tout le champ : en silence, mystérieusement.

Je me souviens. On a à peine plus de vingt ans. Jour de rupture avec les vies antérieures, sans intérêt notable. Envol pour Bombay via Damas et Abu Dhabi. Sans plan, sans projet ni billet de retour. Brûler tous les ponts. Libre de tout, et surtout libre de moi-même. Un voyage sans but. Où alliez-vous, jeune homme ? Question restée sans réponse. Partir pour partir. Seul. « On ne part pas comme ça ! », s’écriait-on autour de moi. Ou encore cet autre : « Que vas-tu foutre là-bas ? ». J’avais, je m’en souviens, répondu sans réfléchir : « Apprendre à ne plus me poser des questions de ce genre».

L’Inde, si belle dans sa folie désespérée et gaie, sollicite chez le voyageur ce qu’il possède en lui de plus profond. J’avais lu le Siddhartha de Hesse : « Je sais méditer, je sais jeûner, je sais attendre ».... J’avais lu les Upanishad et fréquentais les vieux textes bouddhistes. Sans doute me prenais-je même un peu pour un de ces « dharma bums » dont parlait Jack Kerouac. Mais pas question de s’enfermer dans une pensée. L’essentiel fut sans doute ce moment où, sur les hauteurs de Srinagar, je me mis à voir le paysage à travers les yeux de l’aigle qui tournoyait au-dessus de moi. Ou encore lorsque passaient les corps à la dérive, après les crémations, le long du Gange, à Bénarès. Sortir du cycle des naissances et des morts. Passer de l’autre côté du voile d’illusion.

Sans doute reste-t-il en moi, au plus profond, dans le regard, le demi-sourire, cette distance que donne au voyageur l’absence de but. Depuis l’Inde en moi tout est chemin. Une sorte de rire silencieux, un brin désinvolte. Sur les sentiers birmans, les steppes d’Anatolie. Sur Bleeker Street, dans mon cher Greenwich Village. A Asakusa devant le grand bouddha de pierre. A Saïgon ou dans la jungle du Cambodge, la nuit, près des Temples d’Angkor. Au sommet des pyramides, de Khéops en Egypte ou de Tikal, Guatemala, Palenque du Mexique. Perdu dans la transe des nuits de Bahia ou négociant des flèches indiennes dans la région de Manaus, Amazonie. Fumant du kif à Ksar Ghilane dans le désert, écoutant le chant de Coyote à Santa Fe…

Je n’ai habité aucun de ces lieux ; ce sont eux qui m’habitent. Quelle place occupent-ils toujours dans chacun de mes gestes, chacune de mes pensées ? De tous ces regards, de toutes ces peaux frôlées ou caressées, de ces lèvres embrassées dans des cabanes en planche (j’étais à l’époque toujours assez prompt à tomber amoureux), de ces amitiés fulgurantes, inoubliées, que reste-t-il aujourd’hui ? Où est passée l’ombre errante que j’ai promené le long des murs étincelants du grand sud ? Où mes poèmes contrebandiers dans mes carnets de note ? Où mes trafics rimbaldiens d’alors, dans quels livres de compte ?

Je voudrais pouvoir dire que je connais la réponse. Malheureusement je n’en sais rien. Je me contente d’aller mon chemin, inaperçu et libre. Que l’Inde de mon premier voyage demeure longtemps sur mon sourire, dans une entière franchise : tel est mon seul souhait. Car l’Inde constitue mon passé, mon présent, mon futur.

On ne part pas pour se découvrir mais pour se défaire ; pour atteindre un état de parfaite nudité où ce qui pousse à vivre est aussi ce qui enchante dans la mort. J’ai écrit quelque part que le voyageur véritable n’est pas celui qui avance mais celui qui s’efface.

L’Inde, je ne vois décidément qu’elle pour me souffler une pareille pensée ! C'est pourquoi je la sais là, tout proche, comme la murmurante amie qu'elle n'a jamais cessé d'être pour moi. 

 

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22 mai 2012 2 22 /05 /mai /2012 16:43

 

 

Les composantes sociologiques du vote FN

 

 

  

L’accident démocratique qui a porté le FN au 2e tour d’une élection présidentielle en avril 2002 marque un tournant de la vie politique en France, et inaugure une séquence chaotique qui ne s’achève (temporairement) que par l’arrivée aux affaires de François Hollande.

 

Cette année-là, le vote FN change de nature ; il devient fortement rural et périurbain. Moins idéologique, plus massivement « protestataire ». De quel message ce changement est-il porteur ?

 

Le FN : hétéroclite et ambigu. Un fourre-tout où se mêlent les frustrations les plus diverses : nostalgie de l’ordre et de l’autorité, droite maurassienne, souverainistes, contre-révolutionnaires, nationalistes, pétainistes, nazis, rapatriés revanchards, OAS, coloniaux, catholiques traditionnalistes, racistes, antisémites, révisionnistes… Mais s’il ne s’agissait que de cela, le FN n’atteindrait pas ces scores de 20% aux élections. Au-delà de ses courants historiques traditionnels, l’inscription géolocalisée du vote FN, par sa précision relativement nouvelle, constitue un signal d’alarme qu’il faut savoir entendre. C’est sur cet aspect que nous allons porter notre attention. Car il est sans doute le plus à même d’expliciter la massification durable et la banalisation dont bénéficie actuellement le vote FN.

 

Le FN tire sa force politique de son ambiguïté : ce parti se situe-t-il à l’intérieur du champ démocratique ou bien en dehors ? Pour des raisons plus ou moins avouables, on s’est toujours gardé de trancher. C’est ainsi que faute d’une image claire à son égard, et en dépit des procès perdus, on a laissé fuser et infuser les « traits d’humour » et autres jeux de mots faisant signe vers l’antisémitisme et le révisionnisme (« Durafour crématoire »). A peine relevait-on la fréquentation continue de groupuscules nazis, le salut hitlérien dans les meetings, les arabes à la Seine, les références douteuses (« Brasillach, ce poète »)… Le vote FN prolonge cette ambiguïté et en tire jouissance. Il profite également, dans une très large mesure, de la confusion actuelle qui consiste à assimiler, le plus souvent par totale méconnaissance et démagogie, l’idée de «culture humaniste », à celle, fortement dépréciative, de «politiquement correct ». L’absurde réduction de la pensée des Lumières, fondamentalement libératrice, en un moralisme obtus, a fait son œuvre…

 

Pourquoi le vote FN ? Pour inverser le sens de la pression sociale et contester la position surplombante des élites. Pour retourner sur elle la pression qu’exerce sur un individu fragilisé une société globale, sans règle (dérégulation), dont le sens et les objectifs sont devenus illisibles. Faire payer à la société une école qui a fait défaut sur sa mission essentielle, l’égalité des chances ; une justice qui ne punit que les plus faibles et garantit l’immunité des forts ; une monnaie traditionnelle, le franc, remplacée par l’euro au prix d’une inflation immédiate de 25% sur les produits de base, qu’on a longtemps cherché à nier ;  une économie qui ne produit que des destructions d’emplois pour les uns et le cumul exorbitant de richesse pour les autres ; une gestion purement fonctionnelle des territoires qui pose avec une nouvelle actualité la question identitaire ; etc, etc. Le FN, c’est la facture à régler pour vingt années d’inversion de l’ascenseur social. La mythologie du progrès continu a volé en éclats. Or elle était le ciment de notre vivre ensemble.

 

On constate que le déplacement progressif du vote FN vers les zones rurales et périurbaines est parfaitement contemporain de l’évolution particulière de ces territoires, où la dénégation du « faire société » est forte. Ces territoires ont été bouleversés depuis des décennies par une gestion purement instrumentale, où l’humain est relativement peu pris en compte. Ils sont soumis à de nombreuses autorités aux intérêts parfois contradictoires : communautés urbaines, communautés de communes ou d’agglomérations, régions… Cette gouvernance multiple conduit à rendre plus complexes et moins lisibles ces espaces. On se sert du périurbain pour redéfinir la ville, en prolongeant celle-ci par un réseau polycentrique qui segmente le territoire situé en dehors (suburbain, périurbain proche, périurbain lointain) et bouleverse les paysages traditionnels. Les campagnes d’hier deviennent le théâtre d’un vaste dispositif interconnecté, dont le sens global échappe à l’échelle des perceptions humaines. Au prix d’un véritable éclatement spatial et d’un report des nuisances sur le périurbain : les autoroutes remodèlent la topographie, avec leurs échangeurs, leurs péages, leurs aires de services ; les zones commerciales et les parcs d’activité envahissent les terrains autrefois dévolus à la production agricole et à la viabilisation écologique des sols (résultat : davantage de perturbations liées aux risques naturels, inondations par exemple) ; aéroport, nouveau tracé de TGV, station d’épuration, usine d’incinération, décharge publique, centrale électrique ou nucléaire, champ d’éoliennes, etc, constituent le plus souvent des points de tension avec les populations de riverains.

 

La circulation impose ses logiques de flux au détriment des logiques de résidence. Partout le périurbain se redéfinit comme une simple variable d’ajustement technique permettant l’extension de la ville. Son développement n’est pas pensé en soi, mais en fonction des nombreuses logiques exogènes qui le traversent. Ses habitants sentent combien leur « ici », en devenant si fortement dépendant d’un « là-bas », leur échappe. A eux les affres de ces transformations incessantes, à d’autres les bénéfices. Le nouveau pont ferroviaire défigure la vallée, mais le train ne s’arrête plus à la desserte locale. La modernité qui pervertit leur décor quotidien leur file sous le nez.

 

On a délocalisé le local. Profondément inscrites dans la laideur nouvelle des paysages, la gouvernance essentiellement fonctionnaliste de ces territoires en a profondément désorganisé, désarticulé l’identité : bourgs anciens, lotissements neufs, zones diverses, la discontinuité est partout, l’unité nulle part. La multiplication des fonctions et des échelles rend également impossible toute tentative de réappropriation de l’espace par leurs habitants. De plus ces derniers appartiennent à des populations mélangées (autochtones de tradition rurale, néo-ruraux de tradition urbaine) qui ne partagent absolument pas la même histoire. La question de l’identité, fonds de commerce du FN, est au cœur des problématiques du périurbain et de la nouvelle ruralité.

 

Selon l’INSEE 73% des Français vivent dans la région où ils sont nés. 95% vivent sous l’influence d’une ville, parfois de plusieurs. Seuls 5% de la population vivent dans l’une des 7 400 communes rurales ou petites villes. Cette péri-urbanité généralisée constitue un phénomène qui s’est fortement accéléré au cours de ces dernières années. On parle alors d’ « aires » : une entité vague, qui dit bien la déterritorialisation à laquelle les Français, même sans bouger, ont été confrontés au cours de ces dernières années. Un sentiment de dépaysement chez soi. Dès lors comment pourrait-on retrouver en soi les antiques réflexes de l’hospitalité envers l’Autre, lorsqu’on se vit soi-même comme un étranger sous son propre toit ?

 

Les aires marginalisent la commune, reléguée à la place de simple satellite de la ville, avec ses lotissements neufs et ses zones d’activité, la privent de sa propre histoire, de son propre développement endogène. Dans une « aire » la commune n’existe qu’en fonction d’une ville référence, ce qui la vide de sa substance existentielle mais aussi démocratique. L’ici n’existe plus. La fierté de l’ancrage communal, qu’on nommait autrefois « l’esprit de clocher », n’a plus lieu d’être. La modernisation de l’agriculture a mis fin au monde rural traditionnel. Les fermes ont été revendues, restaurées en résidences secondaires. Voilà pourquoi est apparu en 1989 un mouvement conservateur tel que « Chasse, pêche, nature et traditions » : pour retrouver le sens du terroir, en réaction contre le développement anarchique du périurbain qui a peu à peu transformé la campagne en lointaine banlieue.

 

Cette culture de la non mobilité qui est celle de l’immense majorité des Français, si elle prépare mal à l’ouverture à l’autre, leur permet toutefois de mesurer avec lucidité, année après année, le bouleversement continu de leur propre territoire. On connaît le constat : désert français où les lieux de rencontre et de convivialité ont tous progressivement disparu (cafés, restaurants, petits commerces de proximité) de même que les services de base (école, hôpital, poste, gendarmerie, pharmacie), lors même que les populations sont vieillissantes (retour des retraités au terme de leur vie active, exode des jeunes vers les bassins d’emplois), avec une plus grande sensibilité aux problèmes d’accessibilité et de déplacements, mais aussi de sécurité.

 

La convergence entre la référence classique à un âge d’or (« C’était mieux avant ») et le ressassement médiatique (réductible à cinq thématiques majeures : délinquance et insécurité, maladie, haine de soi à travers la chirurgie esthétique, scandales chez les élites, « peoples » tellement glamour) provoque une subculture de l’insatisfaction, de la frustration et de la peur. Alors on privilégie la pureté au métissage, on joue l’ici contre le là-bas, le même contre l’autre. On en appelle d’autant plus au fantasme de la pureté identitaire que l’on a été soi-même, en tant que néo-rural, peu accepté par les autochtones. Du coup, selon le processus bien connu du père qui bat la femme qui bat l’enfant qui bat le chien, on reporte sur d’autres le rejet dont on a été soi-même l’objet : sur les gens du voyage, par exemple. Et pas besoin de la présence effective d’étrangers en chair et en os pour laisser libre cours à la xénophobie : c’est l’idée même d’étranger qui est honnie. Car cette idée de l’étranger cristallise toutes les hantises et devient le modèle explicatif unique de tous les tourments : la fin de l’Etat providence, l’éclatement du collectif, le déclassement, la perte des valeurs traditionnelles, etc.

 

Le discours de l’extrême se renforce. L’individu qui s’estime éligible à la « préférence nationale » peut à nouveau se penser comme sujet par rapport à un enjeu collectif. Comme élément d’un tout. Ce n’est qu’ainsi qu’il peut renouer avec l’estime de soi.

 

A la population rurale traditionnelle est venue s’ajouter une population fortement hétérogène, composée d’urbains rêvant leur bonheur dans la fuite hors de villes et d’exclus ne pouvant plus se permettre financièrement de s’y loger. Pour les uns le ré-ancrage territorial est une représentation fantasmée du retour à l’authentique et à « la vie bonne », dont l’aboutissement est « l’accession à la propriété » et « la maison individuelle ». Pour les autres, chassés par l’augmentation vertigineuse de l’immobilier de ville, cette nouvelle vie au fin fond du périurbain constitue au contraire un déclassement.

 

Des lotissements sans âme fleurissent là où il n’y avait naguère que des champs. Relégués, enclavés, pas desservis par les transports en commun, loin de tout, dépourvus des services publics comme la poste ou privés comme la pharmacie, ces nouveaux territoires « dortoirs » sont coupés de toute culture locale, de toute histoire, de toute symbolique collective. Ce sont presque des « non lieux » qui ne vivent pleinement que le week-end : tondeuse et barbecue. Ce manque d’ancrage dans un terroir devenu peu lisible crée une conscience vague, flottante, isolée, où les propos entendus à la télé prennent une importance démesurée. Cette nouvelle population, influencée par le ressassement médiatique et ses errements,  peut avoir la tentation de s’emparer de la seule force politique apparue comme « nouvelle », disponible : le FN (A ce propos il est à noter que 2012 marque l’émergence d’une force alternative, le Front de Gauche).

 

Et ce d’autant plus volontiers qu’ils ne retrouvent plus dans la droite classique, libéralo-globalisé mais à la française, ce qui en fondait autrefois les valeurs : l’ordre, l’autoritarisme, le nationalisme. Lorsque la droite reprend à son compte ces valeurs de façon crédible, comme ce fut le cas au moment de l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007, la pression du vote FN tend à baisser de manière significative.

 

Les périurbains sont très majoritairement de petits propriétaires, ce qui tend à les rendre attentifs aux questions d’endettement, de spéculation, d’investissement, d’imposition, mais aussi de sécurité. De sorte qu’ils adhèrent plus facilement aux discours libéraux, en dépit de revenus disponibles souvent réduits. Ils constituent une sorte de lumpen prolétariat de l’ultralibéralisme, valorisent la réussite clinquante et la « peopolisation ». C’est pourquoi ils n’hésitent pas à donner leurs suffrages à une droite qui par souci de « rigueur budgétaire » s’emploie à détruire les services publics, alors même que leur sentiment d’inconfort existentiel et d’insécurité tient précisément au chaos généré par cette même destruction des services publics. Du coup ce sentiment de délaissement et d’insécurité augmente, alimentant paradoxalement le cercle vicieux de la droitisation de leurs votes.

 

Coincés entre global et local, devenus incompréhensibles par la juxtaposition des logiques exogènes qui en gouvernent les transformations, les espaces ruraux et périurbains ont été coupés de leur histoire, de leur identité. Les liens générationnels ont été rompus, les populations mélangées, les paysages bouleversés. Foyers d’insatisfaction et de ressentiment, devenus illisibles, ils sont inhabitables au sens fort du mot. Parce que rien ne s’accorde plus à leur donner un sens partageable au sein d’une communauté constituée.

 

Gardons-nous cependant, au terme de ces quelques remarques, de céder à un déterminisme purement géographique : car il faut tenir compte aussi du degré d’insertion sociale des individus, de leur âge, de leur niveau d’étude, etc. Et puis, comme nous l’avons souligné, les populations qui y résident sont loin d’être homogènes, surtout depuis la migration bivalente (promotion ou relégation) des anciens urbains hors des villes. Mouvement somme toute récent, dont nous ne mesurons peut-être pas encore bien toutes les implications.

 

Pour autant, en se surajoutant au contexte de crise, la sociologie désarticulée de la ruralité et l’identité inconstituable des lieux périurbains constituent des éléments favorables au vote FN. Il n’est donc pas question d’en stigmatiser les populations, mais de mettre en lumière les difficultés spécifiques auxquelles celles-ci sont confrontées. Les votes FN, en se déplaçant hors des villes, se sont à la fois banalisés et désengagés, du moins pour cette frange que l’on appelle « le vote protestataire ». Ils ne seraient alors qu’une façon de combler un vide, d’indiquer une absence de réponse et une absence d’Etat. On pourrait alors les considérer davantage comme les balises du vaste chantier qui reste à mener plutôt que comme les signes idéologiques d’un renouveau fasciste à la française.

 

Ce qui n’exclue pas, loin s’en faut, la vigilance. Dans le sillage de la passation de pouvoir entre Le Pen père et fille (janvier 2011), une nouvelle génération prend désormais le FN en main. Un objectif en deux temps : « Dédiaboliser » le parti en profitant de l’actuelle porosité avec la droite plus respectable, tout en conservant intact l’arrière-fond idéologique ; se mettre en position d’accéder pour de bon au pouvoir. Le contexte s’y prête. La montée des droites extrêmes agitent l’ensemble des pays européens et la Bavière vient de décider d’autoriser la réédition de Mein Kampf : une première.

 

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18 mai 2012 5 18 /05 /mai /2012 13:50

 

 

 

L'accident démocratique qui a porté le FN au 2e tour d’une élection présidentielle en avril 2002 marque un tournant de la vie politique en France, et inaugure une séquence chaotique qui ne s’achève (temporairement) que par l’arrivée aux affaires de François Hollande.

 

Cette année-là, le vote FN change de nature ; il devient fortement rural et périurbain. Moins idéologique, plus massivement « protestataire ». De quel message est-il porteur ?

 

Le FN est un fourre-tout où se mêlent les frustrations les plus diverses : nostalgie de l’ordre et de l’autorité, tradition de la droite maurassienne, contre-révolutionnaires, pétainistes, nazis, rapatriés revanchards, OAS, coloniaux, fondamentalistes chrétiens, racistes, antisémites, révisionnistes, paumés… Mais s’il ne s’agissait que cela, le FN n’atteindrait pas ces scores de 20% aux élections. Surtout que certains de ses courants sont trop historiquement datés pour être tout à fait pérennes. En revanche l’inscription géolocalisée du vote FN ne serait pas aussi précise si elle ne constituait pas un véritable signal d’alarme sociétal. C’est sur cet aspect, sans doute le plus à même d’expliciter la massification et la banalisation du vote FN, que nous allons porter notre attention.

 

Rappelons pour commencer que vis-à-vis du FN le monde politico-médiatique a toujours joué l’ambiguïté : ce parti se situe-t-il à l’intérieur ou hors du champ démocratique ? On n’a jamais véritablement tranché. De sorte qu’il a échappé au verrou historique posé sur le pétainisme et la collaboration par le devoir de mémoire. Faute d’une image claire à son égard, et en dépit des procès perdus, on a donc laissé fuser les « traits d’humour » et autres jeux de mots faisant signe vers l’antisémitisme et le révisionnisme (« Durafour crématoire »). A peine relevait-on la fréquentation continue de groupuscules nazis, le salut hitlérien dans les meetings, les références douteuses (« Brasillach, ce poète »)… Folklore ou idéologie ? Le vote FN prolonge cette ambiguïté. Il faudra démêler ce qui relève de la conviction politique de ce qui relève de la provocation, voire de la gesticulation.

 

Pourquoi le vote FN ? Pour inverser le sens des pressions : retourner la pression qu’exerce sur un individu fragilisé une société globale, sans règle (dérégulation) et incompréhensible, au lieu de la subir. Faire payer à la société une école qui a fait défaut sur sa mission essentielle, l’égalité des chances ; une justice qui ne punit que les plus faibles et garantit l’immunité des forts ; une monnaie traditionnelle, le franc, remplacée par l’euro au prix d’une inflation immédiate de 25% qu’on a longtemps niée et dissimulée ;  une économie qui ne produit que des destructions d’emplois pour les uns et le cumul exorbitant de richesse pour les autres ; etc, etc. Voter FN, c’est pour certains faire payer à la société le fait de ne plus vouloir faire société avec eux. Même quand on n’en est pas directement victime. C’est jouer le fantasme de l’unité, de la pureté, de l’immobilité, contre l’éclatement du collectif et la nouvelle culture du changement permanent, du métissage et de l’hybridation qui est en train d’émerger.

 

On constate que le déplacement progressif du vote FN vers les zones rurales et périurbaines est parfaitement contemporain de l’évolution particulière de ces territoires abandonnés et déclinants, déchirés entre global et local, où viennent s’implanter depuis les années 90 de nouvelles populations. Celles-ci sont en partie constituées de catégories sociales déclassées ou en voie de l’être, contraintes de quitter un centre-ville aux coûts devenus inabordables pour s’installer en périphérie, toujours plus loin.

 

C’est la note à régler pour vingt années d’inversion de l’ascenseur social, devenu aux yeux de tous un insupportable descenseur social. La mythologie du progrès continu a volé en éclats. Or elle était le ciment de notre vivre ensemble. L’échec et la pauvreté ont été intégrés par ceux qui en sont les victimes comme une fatalité contre laquelle on ne peut rien, si ce n’est, au moment des consultations électorales, en manifestant un rejet absolu du système. Mettant en doute et en question la notion même de démocratie. Il y a peut-être là une connaissance nouvelle : la démocratie s’achève là où commence sa propre impuissance, là où commence sa propre résignation.

 

Ces zones rurales ou périurbaines, vécues comme des espaces de relégation pour ceux qui ont été chassés des villes et s’y sont installés contre leur gré, sont pour ceux qui les habitaient déjà des territoires soit en déclin, soit inhabitables au sens fort du mot.

 

Selon l’INSEE 73% des Français vivent dans la région où ils sont nés. 95% vivent sous l’influence d’une ville, parfois de plusieurs. Seuls 5% de la population vivent dans l’une des 7 400 communes rurales ou petites villes. Cette péri-urbanité généralisée constitue un phénomène qui s’est fortement accéléré au cours de ces dernières années. On parle alors d’aires : une entité vague, qui dit bien la déterritorialisation à laquelle les Français, même sans bouger, ont été confrontés. Un sentiment de dépaysement chez soi. Dès lors comment pourrait-on retrouver en soi les antiques réflexes de l’hospitalité envers l’Autre, lorsqu’on se vit soi-même comme un étranger sous son propre toit ?

 

Cette culture de la non mobilité qui est celle de l’immense majorité des Français, si elle prépare mal à l’ouverture à l’autre, a toutefois permis aux autochtones de mesurer avec précision, année après année, le déclin de leur territoire. On connaît le constat : désert français où les lieux de rencontre et de convivialité ont tous progressivement disparu (café, restaurant, petits commerces de proximité) de même que les services de base (école, hôpital, poste, pharmacie), lors même que les populations sont vieillissantes (avec notamment le retour des retraités au terme de leur vie active), plus grande sensibilité aux problèmes d’enclavement, de transport et de tarifs des carburants.

 

Les aires marginalisent la commune, reléguée à la place de simple satellite de la ville, avec ses lotissements neufs et ses zones d’activité, la privent de sa propre histoire, de son propre développement endogène. Dans une « aire » la commune n’existe qu’en fonction d’une ville référence. L’ici n’existe plus. Voilà pourquoi est apparu en 1989 un mouvement conservateur tel que « Chasse, pêche, nature et traditions » : pour retrouver le sens du territoire et rompre avec le développement du péri-urbain sur le modèle de la banlieue.

 

Le mode dominant d’habitat du péri-urbain : la maison individuelle modeste. Les péri-urbains sont majoritairement de petits propriétaires, ce qui tend à les rendre attentifs aux questions d’endettement, de spéculation, d’investissement, mais aussi de sécurité. De sorte qu’ils adhèrent plus facilement aux discours libéraux, en dépit de revenus disponibles souvent réduits. Ils constituent une sorte de lumpen prolétariat de l’ultralibéralisme, valorisent la réussite clinquante, le vedettariat, et ne dédaignent pas tenter leur chance au PMU. Ils aiment le fric sans y avoir accès. Donnant suffrages à une droite qui par « rigueur budgétaire » s’emploie à détruire les services publics, leur sentiment d’inconfort existentiel et d’insécurité tient souvent, précisément, au chaos généré par cette même destruction des services publics. Du coup ce sentiment de délaissement et d’insécurité augmente : favorisant le passage vers un vote au profit d’une droite plus extrême.

 

Rejetée toujours plus loin des centres villes par l’augmentation du prix des terrains, une nouvelle population de petits possédants arrive dans des lieux artificiels et sans histoire. C’est en cela qu’on peut les dire « inhabitables ». Des lotissements sans âme fleurissent là où il n’y avait naguère que des champs. Relégués, enclavés, pas desservis par les transports en commun, loin de tout, dépourvus des services publics comme la poste ou privés comme la pharmacie, ces nouveaux territoires « dortoirs » sont coupés de toute culture locale, de toute symbolique collective. Ce sont presque des « non lieux ». Ce manque d’ancrage, ce défaut de terroir crée une conscience vague, flottante, où les propos entendus à la télé prennent une importance démesurée. Cette nouvelle population, influencée par le ressassement médiatique et ses errements,  peut avoir la tentation de s’emparer de la seule force politique apparue comme « nouvelle », disponible : le FN (A ce propos il est à noter que 2012 marque l’émergence d’une force alternative, le Front de Gauche).

 

Et ce d’autant plus volontiers qu’ils ne retrouvent plus dans la droite classique, libéralo-globalisé mais à la française, ce qui en fondait autrefois les valeurs : l’ordre, l’autoritarisme, le nationalisme. Lorsque la droite reprend à son compte ces valeurs de façon crédible, comme ce fut le cas au moment de l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007, la pression du vote FN tend à baisser de manière significative.

 

L’habitant rural subit plus que d’autre la pression du regard social. Une pression spatiale parce que l’existence est circonscrite au bourg, à la commune ; une pression temporelle parce qu’on a toujours vécu là, que chacun peut lire entièrement l’histoire de la vie du voisin. Deux déterminismes très lourds, auxquels échappe l’habitant des grands centres urbains. La ville libère du regard de l’autre. Au village, la concurrence est plus rude entre les voisins auxquels on ne cesse de se mesurer depuis toujours, parfois sur plusieurs générations. La ruralité exacerbe ainsi les marqueurs sociaux et les différences (le fameux « esprit de clocher »). Le village tend à réduire l’individu à ses quelques marqueurs principaux, à l’y incarcérer. Lorsque ces marqueurs sont négatifs (le chômeur, le cocu…), l’individu se trouve dans un état de frustration exacerbé dont il est extrêmement difficile pour lui de sortir. Le vote FN, indépendamment de toute pensée politique, peut être un moyen commode d’alléger le poids de ces déterminismes. C’est un attentat euphémisé contre la citoyenneté, dans la mesure où celle-ci n’est pas parvenue à sortir l’individu de sa misère, et où celui-ci n’a pas trouvé de champ collectif où s’assumer. C’est une rupture de contrat social.  

 

La rencontre entre le naturel recours à un âge d’or (« C’était mieux avant ») et le ressassement médiatique (réductible à cinq thématiques majeures : délinquance et insécurité, maladie, haine de soi à travers les chirurgie esthétique, scandales chez les élites, « peoples » tellement glamour) provoque une subculture de l’insatisfaction, de la frustration et de la peur. On privilégie la pureté au métissage, on joue l’ici contre le là-bas. Le discours de l’extrême se renforce. La « préférence nationale », c’est croire en la fin possible de cette distance à soi instillée quotidiennement par la télé : je suis Français, donc je vais bénéficier de cette préférence, j’y suis éligible… L’individu peut à nouveau se penser comme sujet par rapport à un enjeu collectif.

 

L’individuation moderne est passée par là. La télé a remplacé la rumeur, les commérages. Elle a pris leur place. Avec le même crédit : ce n’est pas qu’on y croit, on s’en sert. Ce sont des rumeurs globales, plus locales. Avec une imagerie globale, une langue globale. On a été dépossédé de la culture de l’ici. Le global, avec tout le clinquant de son discours volontariste ultralibéral, se déverse en direct (via la télé, mais aussi internet) dans la réalité locale à laquelle il s’impose en la virtualisant. Une subculture se met en place, hybride de local et de global, mais rendant les contrastes plus saisissants encore. La langue nouvelle, sous influence (les jeunes parlent « banlieue » des centres-villes chics aux villages oubliés), vise des éléments plus généraux. Les références sont planétaires et accentuent les douleurs qui demeurent locales.

 

Le déclin (qui redouble en quelque sorte un mouvement plus général, celui de l’effacement progressif des « grands récits » porteurs de valeurs au profit d’un modèle de société auquel il faudrait absolument s’adapter sans rien dire), c’est avant tout celui des rituels communaux d’appartenance à une collectivité. Un sentiment de honte, et donc de haine du local en déshérence face aux images d’un global triomphant, attirant et surmoderne.  

 

Gardons-nous cependant de céder à un déterminisme purement géographique : il faut tenir compte aussi du degré d’insertion sociale des individus, de leur niveau d’étude, etc. Et puis les populations sont loin d’être homogènes, surtout depuis l’évasion des anciens urbains hors des villes, mouvement somme toute récent et dont nous ne mesurons peut-être pas encore bien toutes les implications.

 

Pour autant la sociologie désarticulée de la ruralité, la sociologie inconstituable des lieux périurbains sont deux éléments propices au vote FN. Il n’est donc pas question d’en stigmatiser les populations, mais de mettre en lumière les difficultés spécifiques auxquelles celles-ci sont confrontées. Les votes FN ne seraient alors là que pour combler un vide, indiquer une absence de réponse et une absence d’Etat. Ce sont plus les balises du vaste chantier qui reste à mener que les signes idéologiques d’un nouveau fascisme à la française.

 

Ce qui n’exclue pas, loin s’en faut, la vigilance. La montée des droites extrêmes agitent l’ensemble des pays européens et la Bavière vient de décider d’autoriser la réédition de Mein Kampf : une première.

 

 

 

Copyright Gérard Larnac mai 2012.

 

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9 mai 2012 3 09 /05 /mai /2012 11:32

 

 

L'individu "surmoderne" est désormais confronté, à travers toute son existence, à trois crises psycho-sociologiques majeures : une crise de l’espace ; une crise de la temporalité ; une crise de la relation. Il faut entendre ici le mot « crise » : un bouleversement radical qui dit à la fois le danger et le possible.

 

  

1. Une crise de l’espace

 

 

 

Le luxe n’est plus dans les objets, mais dans un nouveau rapport au temps et à l’espace. Le luxe véritable, cela consiste aujourd’hui à agrandir l’espace et à vaincre le temps.

 

Nous vivons une mutation sans précédent : le passage de l’ère de la vitesse à l’ère de l’instantané. De l’un à l’autre c’est l’espace qu’on a perdu, nié. L’ubiquité virtuelle a chassé l’ici de la réalité. Le chemin, le cheminement, l’en-cours n’existent plus. Du coup la bifurcation, qui pouvait naguère corriger une trajectoire, n’est plus possible.

 

Le siècle s’est ouvert, dit-on, en novembre 1989 par la chute du Mur de Berlin et a été inauguré par le 11 septembre 2001 : deux effondrements qui marquent l’unification de l’espace géopolitique et son corollaire, le danger désormais intérieur.

 

Quatre absences fondatrices définissent la période : absence d’alternative (le fameux « There is no alternative » de Margaret Thatcher) ; absence de ressource (chroniques incessantes de nos pénuries annoncées); absence de travail (déstructuration d’activités non remplacées) ; absence d’abri (chacun est exposé à un danger désormais planétaire, invisible et omniprésent, de New York à Fukushima). La société se définit donc essentiellement par ses manques ; d’où son caractère anxiogène. L’individu s’y trouve exposé, surexposé, dépossédé.  

 

La société devient fluide : un éloge de la mobilité (même nos téléphones sont mobiles). On « délocalise », on « relocalise », l’argent spéculatif passe d’une place de marché à une autre, d’un bout à l’autre de la planète, en une nano-seconde.

 

Mais pour les individus de chair et d’os la logique est toute autre que pour les échanges de biens. Nos aéroports internationaux, au passage de la frontière douanière, n’affichent pas « Bienvenue en France » mais « Vous entrez dans l’espace Schengen et vous devez vous conformer à sa réglementation ». L’espace réglementé s’est imposé à l’espace géographique. Fantasme d’un espace globalisé mais sans étranger, sans migration : étanche aux autres. On retiendra qu’en ce début de XXI ème siècle, franchir une frontière, c’est avant tout donner la preuve qu’on va la retraverser en sens inverse pour rentrer chez soi au plus vite. Mobilité, immobilité. Déplacement oui, migration non. Ce que l’on redoute c’est l’installation de l’autre près de nous, et plus encore, c’est le risque de devenir l’autre, de nous confondre avec lui, au péril de notre identité : le burlesque épisode « viande hallal » en a récemment montré un exemple… saignant.

 

Or qu’on le veuille ou non, ce qui vient est une intensification inédite des flux migratoires. C’est ainsi qu’à l’horizon 2050 on prévoit qu’un milliard d’hommes seront migrants. On ne peut être un citoyen « global » et prôner le durcissement les frontières. Comment lever cette contradiction manifeste ? Comment, à un monde unifié par la « mondialisation », articuler les différences et les altérités, respecter la diversité ? Il nous faudra bien conjuguer l’un et le multiple, et pour cela forger une véritable « culture de la migration et de l’hospitalité ». Surabondance d’hommes (9 milliards en 2050 d’après les projections officielles), pénurie d’espace et de ressources : la crise de l’espace est directement liée à l’imminence de ce débordement et à ses conséquences.

 

Nous sommes à l’heure des choix : soit accueillir l’étranger en alter ego, sans diluer notre identité nationale mais en renouvelant profondément l’idée que nous nous faisons de nous-même, soit refuser le monde nouveau, non sans violence, et nous dessécher à l’écart, aigres et réactionnaires, dans un rapport purement muséal et commémoratif avec une identité française parfaitement fantasmée. Soit l’ouverture à l’autre à travers les lois non écrites de l’hospitalité, soit l’enfermement dégénératif de la consanguinité. La globalisation doit désormais dire clairement son nom : est-elle l’inflation galopante du même, ou est-elle la reconnaissance et le respect du divers ? Répondre à cette question unique, c’est inventer le monde de demain.

 

Comment allons-nous réussir à articuler le global au local, l’un au multiple, le dedans au dehors ? Bien sûr que l’idée d’ouverture unificatrice contenue dans la « globalisation » met fin aux familiarités traditionnelles, déroute l’esprit et plonge chacun dans un état de dépaysement perpétuel. Nous sommes tous devenus des étrangers dans notre propre pays. Les valeurs auxquelles nous avions coutume de nous référer sont devenues inopérantes, parce que nous sommes confrontés à un brusque changement d’échelle. On ne peut donc s’étonner des peurs régressives qui l’accompagnent : retour en force des fondamentalismes, politiques ou religieux.

 

 

 

2. Une crise de la temporalité

 

 

La mort fixait autrefois un horizon à l’existence humaine, prescrivait à la collectivité des comportements strictement ritualisés, donnait gravité et profondeur à la conscience individuelle. Or ce qui trouble aujourd’hui les observateurs, ce sont tous les indices concordants qui montrent combien la mort tend désormais à être effacée, sortie hors du champ de la société, dissociée de toute représentation symbolique. Même si sa survenue a fortement reculée, la mort est toujours là, mais comme un non dit, un bug dans le logiciel. « La mort ? Pas le temps, pas la place dans mon agenda, repassez plus tard… ».

 

Conséquence sans doute d’une crise de la temporalité qui fait de la vie un éternel présent, mais un présent sans présence, un présent où l’immédiat lui-même a fini par s’épuiser. Depuis que nous avons laissé le « temps réel » aux ordinateurs interconnectés, peut-être vivons-nous dans un « temps irréel ». Les machines automatiques et communicantes médiatisent à présent le rapport entre les hommes. L’immédiat n’est plus que le temps de la réactivité automatique des machines ; un temps perdu pour la sensation, pour l’intuition, pour la délibération, pour la rencontre, pour la synthèse des expériences au sein d’une conscience unifiante.

 

Désormais la culture de l’instantané a vidé l’instant de son contenu. C’est l’attente de l’instant qui créait naguère l’épaisseur de l’instant. Un emballement sans précédent s’est emparé de notre devenir.

 

Nous avons délégué à la sphère technique ce que nous ne sommes plus en mesure de penser : le devenir. Personne n’est plus en mesure de penser le résultat sociétal et civilisationnel des innovations et de leurs interactions multiples. Ce lâché de guidon passe même pour le signe de la modernité la plus accomplie. Au mieux agite-t-on le « principe de précaution ». C’est l’effacement de la volonté humaine face à l’avenir. La gouvernance s’est substituée au gouvernement. Comme dans les romans de science fiction d’autrefois, ce sont les machines et leurs ingénieurs qui ont pris le contrôle de l’avenir, dans une société désormais inapte à se penser elle-même. La vision technicienne du monde s’est désormais imposée à toute autre : partielle, partiale, fragmentaire, utilitaire.

 

Le deuil de l’idéologie de progrès n’est pas accompli. Demain ne sera pas obligatoirement mieux qu’hier. Nous sommes entrés dans une zone d’évolution chaotique et paradoxale. Pourtant on s’évertue encore à considérer systématiquement tout changement comme un mieux. Aussi accède-t-on à tous les caprices du changement, fussent-ils calamiteux, sans jamais se demander avec lucidité, comme pouvait encore le faire un Pierre Seghers : « Est-ce chantier ou catastrophe ? »

 

Cette nouvelle temporalité dans laquelle nous entrons est marquée par deux phénomènes majeurs : d’un côté l’effacement de la mort qui transforme l’existence en un perpétuel présent coupé de l’immédiat, donc coupé de la vie, de l’autre un futur devenu impensable. L’horizon individuel comme l’horizon collectif ont disparu de nos écrans radar. Le sujet surmoderne mène désormais son existence entre ces deux éclipses temporelles, dans une sorte de présent flou coupé de l’immédiat. Le devenir s’impose à l’être. L’errance à l’identité.

 

 

 

3. Une crise de la relation

 

 

Nous ne passons pas sans heurts de la société de masse à la société globale. Depuis la fin du millénaire, chaque décennie est profondément marquée par un événement majeur qui vient brutalement réorienter notre commune Histoire dans un sens imprévu. Trois sidérations fondamentales : en 1990 c’est l’écroulement du bloc soviétique et la fin de l’U.R.S.S ; en 2001 le 11 septembre ; en 2011 les révolutions arabes. La thèse qui domina toute la fin du XXème siècle sous sa double formulation, la britannique « Fin des alternatives » et l’américaine « Fin de l’Histoire », a volé en éclat. Contrairement aux prévisions, la prétendue fin des alternatives a réveillé les violences et les thèses extrêmes. Cette poussée inattendue vient perturber cette perpétuelle gouvernance du même à laquelle certains pensaient que le monde s’était réduit à tout jamais. Du coup à « la fin de l’Histoire » (Fukuyama) succédera la thèse, rivale mais toute aussi ethnocentrique, du « choc des civilisations » (Huntington). Le 11 septembre a mis un terme à la vision isolationniste d’un «empire américain », et plus généralement a mis à vue l’extraordinaire fragilité de la puissance dans notre monde contemporain. Car « globalisation » veut dire aussi danger global : personne à l’abri. Pas même Manhattan. Pas même l’Amérique. Si la fin de l’empire soviétique a pu donner à penser à certains que l’Histoire touchait à sa fin faute d’alternative au modèle anglo-saxon, le 11 septembre a mis fin aux certitudes hégémoniques.

 

Les questions humaines, donc civilisationnelles, n’ayant jamais été posées à l’occasion du processus de globalisation de l’économie, voilà que resurgissent des problèmes que l’on pensait conceptuellement réglés depuis longtemps. Entre l’impérialisme du même et la guerre des différences, il va s’agir de trouver une troisième voie. Une troisième voie où l’altérité ne sera plus vécue comme une menace mais comme une chance ; où la rencontre avec l’autre ne sera pas le problème mais la solution. Jamais les échanges n’ont été si nombreux, si aisés. Reste à aller plus loin que les échanges : vers le lien. Seul une nouvelle conception du lien entre les hommes, respectueux de leur diversité, permettra de sortir de la crise de la relation et des replis identitaires qui en sont la conséquence directe – défaisant ainsi les extrémismes politiques et religieux. Notre société est en train de passer de l’empire du singulier à la (re)connaissance du pluriel.

 

Non sans douleur. Non sans difficulté. L’individu surmoderne est un sujet désagrégé. La convergence des supports (web, téléphonie, télévision, radio, walkman, liseuse, appareil photo, caméra, gps…) induit une certaine perte de l’attention, une constante dispersion des pensées. L’époque impose au cerveau humain, comme jamais auparavant, une activité multi-tâches, réactive, fragmentée, sans mémoire. De sorte que l’individu tend lui aussi à devenir multi-tâches, réactif, fragmenté, sans mémoire. Il ne se définit plus par une volonté générale ni par une identité cohérente construite une fois pour toute, somme de conduites héritées, de compétences acquises, d’éducation, de traditions, de repères clairs. Mais par une succession de « moi situationnels » qui s’adaptent comme ils peuvent au gré des aléas, improvisent et s’avèrent incapables de constituer un tout unifié. On parle de la fin des "grands récits", naguère générateurs des valeurs structurantes. L'effondrement des valeurs à la fois prive la société d'un ordre possible et de son contraire, le désir de révolte. Ainsi avancera-t-on désormais : sans ordre et sans révolte. Ce qui compte, c’est non pas l’éducation ni la culture générale (espace commun, partageable et compréhensible par tous), mais l’aptitude à se mouvoir efficacement dans un milieu dont les règles changent en permanence, ou dont on ne connaît pas les règles à l’avance. On nomme « affordance », ou « usage intuitif », cette capacité nouvelle, en grande partie issue de la pratique des jeux vidéo. Réagir à un environnement instable, où la surprise est permanente, pourrait cependant s’avérer bien utile par les temps qui courent. Mais le danger est grand que chacun, incarcéré dans sa bulle virtuelle, ne se construise son propre réel pour s’y absorber totalement, au détriment de la rencontre authentique avec l’autre. Ce qui est désormais commun à tous, c’est cette capacité technologique à créer son propre réel, dans l’oubli du réel authentique et commun qui reste le lieu de la rencontre, de l’échange et de la délibération. Aujourd’hui, habiter le monde revient à le recréer à ses propres mesures ; à en « customiser » un fragment aussi dérisoire que contingent pour s’y « bunkeriser ». Le risque de solipsisme grandit : loin d’un espace collectif, la société se transforme en simple juxtaposition de tous nos petits cinémas mentaux à usage privé. Nous « communiquons », comme on dit que deux pièces communiquent ; mais nous n’échangeons plus. Les nouveaux « réseaux sociaux » véhiculés par le web sont éphémères, opportunistes, d’interaction faible. Ils créaient du contact, pas du lien. Ce n’est pas ainsi que l’on « fait société ».

 

Pourtant, au moment même où les individus tendent à être séparés, chacun dans sa bulle, un phénomène vient contredire la tendance et sonne le rassemblement. Ce phénomène, on le nomme « crise » depuis les années 70 : on a eu beau faire des cures d’austérité, on a eu beau former les salariés aux nouvelles réalités du monde du travail, restructurer tant et plus, rien n’y a fait. L’activité manque, les carrières se précarisent, les diplômes ne suffisent plus, le travail bien fait est démonétisé, les exigences de la finance déstructurent progressivement ce bien commun que sont les « services publics » et l’Etat. Or devant ces difficultés de plus en plus de citoyens se mobilisent pour se défendre, contester la légitimité de cet état de fait, mais aussi pour réfléchir et pour débattre plus largement. C’est en 2005, autour du référendum sur la Constitution européenne, que tout a véritablement commencé. Un nouveau désir d’y voir clair. Que traduit un nouveau désir de politique non plus représentative, mais participative. Objectif : reprendre collectivement son destin en main. Ne plus se contenter d’être un « veau électeur » qu’on réveille à chaque élection pour l’endormir sitôt après. La démocratie, c’est tout le temps ou c’est jamais.

 

La tempête financière venue d’Amérique qui se lève dès 2007 va, au cours de ses différents développements, montrer trois éléments fondamentaux : que la crise est systémique, qu’elle est due aux excès naturels du capitalisme dérégulé, que le système pour se protéger a ceci de pervers qu’il réussit à pénaliser ceux qui sont les victimes de la crise et peut continuer d’enrichir ceux qui en sont les coupables. C’est une première : jamais autant de gens n’ont eu en même temps la vision de l’essentielle iniquité du système économique qu’ils pensaient avoir librement choisi. Un doute radical a commencé à se faire jour. La "crise de la dette publique" n'est que l'opportunité presque inespérée d'imposer aux peuples ce qui ne pouvait pas l'être jusque là au grand jour : la reprise des conquêtes sociales et du compromis de l'après-guerre. Lorsqu’on peut dire en désignant certains, comme c'est aujourd'hui le cas, «Sa richesse, c’est ma pauvreté », c’est que le contrat social, tel que nous pensions l’avoir défini, a été rompu. 

 

Si le best-seller de l’année 2010 est le tout petit texte d’un ancien membre du Conseil national de la Résistance, Stéphane Hessel, c’est que, jeté comme un cri (« Indignez-vous ! »), il accompagne cette stupeur qui vient de saisir la société tout entière. Voilà pourquoi il va si profondément créer partout dans le monde une émotion considérable et réveiller les consciences. L’époque, au fond, n’attendait que ces mots-là.

 

C’est dans ce contexte d’extraordinaire réinvestissement du politique à l’échelle mondiale que les révolutions arabes sont venues introduire un nouveau biais historique. On a trop réduit le soulèvement à une colère contre un pouvoir tyrannique. Il faut se souvenir que la revendication de Mohamed Bouazizi, déclencheur de la révolution tunisienne, était une revendication essentiellement d’ordre économique, remettant en cause les violences de la mondialisation, et pas seulement du système Ben Ali. Et qu’au-delà de cette exigence de pain et de justice, c’est avant tout de dignité dont il était question. Cette même exigence de dignité qui a soulevé le monde arabe jusqu’en Syrie, c’est elle qui refait le cercle de la conscience populaire. Dignité : un mot que l’on entend partout aujourd’hui, des Grecs en colère à l’Afrique abandonnée en passant par les oubliés de nos espaces périurbains. Ce sera là l’exigence majeure pour les vingt ans qui viennent. La clef des relations nouvelles. Rien ne se fera sans elle.

 

 

Conclusion fort temporaire

 

Due au passage de la société de masse à la société globale, la triple crise que nous traversons, crise de l’espace, crise de la temporalité, crise de la relation, marque une réorientation psycho-sociologique de l’ensemble des populations. Nous vivons en direct le basculement d’une époque de certitudes à une époque d’incertitudes. Jamais autant de dangers ne se sont conjoints à autant de possibles. Nous avons fait l’expérience de la post-apocalypse : guerrière avec Hiroshima et Nagasaki, industrielle avec Tchernobyl et Fukushima. Nous savons désormais à quoi ressemble un décor de fin du monde. La guerre globale, l’accident global, la crise financière globale, les mutations climatiques globales, la raréfaction globale des ressources vitales, voilà les questions qui hantent la conscience surmoderne. Les populations ont pourtant bénéficié de la croissance, de l’augmentation de l’espérance de vie, des progrès spectaculaires en matière de santé, de sécurité, de confort de vie. Mais elles sont aussi épuisées par les incessants efforts d’adaptation qui leur a fallu fournir : pour s’adapter à la crise économique systémique, au chômage de masse, à la dégradation des services publics, à la relégation en dépit du désir de bien faire, à l’adaptation rapide à l’ère numérique, au passage à l’euro, aux fragilités structurelles du grand rêve européen…  

 

Un sentiment de déclin sans recours, de déclassement injustifié, fera toujours le jeu des extrémismes. Sans doute le problème vient-il de la tendance de nos édiles à vouloir régler les questions d’aujourd’hui avec les réponses d’hier. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de constater que ceux-là même qui posent avec insistance le problème de l’identité nationale sont également ceux qui s’emploient à affaiblir l’Etat, seul garant de cette même identité.

 

La montée des contestations par l’internationalisation du mouvement des Indignés (qui se traduit par la multiplication spectaculaire des phénomènes d’émeutes un peu partout sur la planète), mais aussi la réactualisation par « le printemps arabe » du mot de « révolution », montre qu’un rapport de force est désormais engagé avec les tenants de l’ordre ancien.

 

D’autres modes d’organisation se mettent en place : des modèles d’échanges, des modèles participatifs. Les organisations ne sont plus pyramidales mais en réseau. Le centralisme s’efface au profit des périphéries. Le singulier se laisse déborder par le pluriel. L’avidité, dans un contexte de raréfaction progressive des ressources, est un réflexe du passé. Le monde qui commence n’a pas d’autre choix que celui de la générosité. Le XXIème siècle globalisé sera solidaire ou ne sera pas.

  

 

 

  

Copyright Gérard Larnac mai 2012.

 

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29 mars 2012 4 29 /03 /mars /2012 23:35

 

 

 

Toutes ces pages écrites, ces ratures, manuscrits, livres édités.

 

Immense propédeutique à la parole ultime.

 

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4 février 2012 6 04 /02 /février /2012 13:34

 

réveille-toi un matin dans une case sans eau sans électricité

avec seulement la lumière du jour qui vient

l'affairement de quelques volailles

les premières trémulations de l'air

et des cris dans l'antique forêt

va rejoindre cette vie

va respirer tout ce réel

 

abandonne le reste tout le reste

 

le reste il te semblera simplement

l'avoir rêvé

ou à peine

en avoir entendu parler

 

avec les tours les avenues

les aéroports les magasins

les journaux les slogans de la publicité

toute cette agitation tragique

 

qui ne sait reconnaître du monde

que sa propre rythmique

sa propre veulerie

sa propre avidité

son propre égarement

 

et sa propre ignorance

 

réveille-toi un matin dans une case à l'écart

et recommence 

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2 février 2012 4 02 /02 /février /2012 11:47

 

 

Taxe Tobin ou dérégulation, plafonnement des hauts revenus ou harmonisation des salaires par le bas, hypertrophie du « modèle allemand » et du capitalisme rhénan, extinction des solidarités... Après le chaos de ces dernières années, la crise financière hésite encore entre révolution et restauration. Une chose est sûre : dans un sens comme dans l’autre, le mouvement risque fort d’être assez radical. Portrait flashé d’un monde en mutation.

 

 

A l’approche de la double élection présidentielle et législative, les candidats offrent un curieux spectacle : celui de fiscalistes fin souls à la fin d’un banquet dont ils se disputeraient burlesquement les restes.

Le débat se veut technique ; en fait il vole bas. Des valeurs de civilisation ? Le point de PIB. Un grand dessein partagé ? Les critères de convergence. Taclé par les agences de notation, hanté par la finance, fasciné par cet avenir qui ne veut pas de lui, le politique est en train de disparaître sous nos yeux dans sa propre étroitesse de petit gestionnaire propret et peu imaginatif. Suicide d’une fonction.

En fait, une course contre la montre est engagée : ou le marché parvient à dissoudre le politique, ou bien le politique parvient à reprendre en main le marché. Jamais l’alternative n’a semblé aussi claire pour tous, toute opinion confondue. Elle jettera pour longtemps les bases de la société qui vient.  Avec un enjeu de taille : la redéfinition de l’option démocratique.

Agir en Grèce avec des préceptes de l’économie allemande relève d’une absurdité telle qu’on n’en accepterait même pas l’évocation dans une mauvaise copie d’élève de première. Or cette absurdité représente sans sourciller la nouvelle orthodoxie bruxelloise.  Pourquoi ? Il suffit de regarder l’agrégat parfaitement hétéroclite que constitue encore l’Europe : entre le fonctionnement de l’Europe du Nord, Allemagne incluse, de l’Europe du Sud, de la France (qui fait pont entre nord et sud), des nouveaux entrants et enfin de la Grande-Bretagne et sa culture du cavalier seul, certains se prennent à rêver d’unité par le passage en force. Mais il fallait pour cela attendre le moment opportun. Or la crise ouvre incontestablement une fenêtre de tir. C’est ce qu’on appelle  « la stratégie du choc ».

Les différentes phases de la crise récente (depuis la crise des subprimes de 2007 jusqu’à la crise des dettes souveraines de 2011) n’est de fait que l’accélération d’une crise bien plus ancienne, née dans les années 80, avec laquelle les citoyens avaient peu à peu appris à vivre. Or à l’époque, pour booster la productivité, deux choix s’offraient encore : la dévaluation et le jeu avec les taux de change, ou bien la désinflation compétitive en baissant les salaires et la fiscalité. Le passage à l’euro a rendu impossible le premier recours ; reste le second. Qui d’un même geste appauvrit et les salariés et l’Etat, dont le rôle constitutionnel de garant de la justice sociale devient alors caduc.

La découverte que le progrès pouvait être réversible et n’avait rien d’acquis s’est faite progressivement. La classe moyenne américaine a vu autrefois les familles où seul le mari occupait un emploi disposer d’une belle maison, d’une puissante automobile pour monsieur, d’une seconde voiture pour madame, ainsi que de tout le confort moderne. C’était aussi l’époque où existait une véritable progressivité de l’impôt, autour de 90% pour les tranches maximales, là où elles tournent désormais à 35%. Résultat : aujourd’hui, lorsque par chance les deux membres du couple travaillent ils n’ont pas toujours de quoi se loger. Partout le travail, qui n’est plus garanti nulle part, n’est plus non plus une assurance contre la pauvreté. Les pays qu’on nous cite en exemple, Grande-Bretagne et Allemagne, en savent quelque chose. Le travailleur pauvre, disparu pendant les 30 Glorieuses, a brutalement fait sa réapparition, avec des salaires à 400 euros par mois.  Belle avancée.

En acceptant sans le dire la restauration de l’ordre financier tel qu’il était avant la crise, les politiques prennent un double risque. Celui de créer de nouveaux soubresauts incontrôlables, et donc une instabilité systémique dommageable pour l’économie mondiale. Mais aussi, en privilégiant une austérité sans relance possible,  celui d’agir contre la volonté des peuples, et de tomber sous la critique rédhibitoire  du «marché, versus démocratie».

Le désordre généré par la dérégulation financière a en effet donné lieu à deux attitudes contradictoires. D’un côté il y a ceux qui estiment qu’il est grand temps de reprendre le contrôle d’un marché qui n’est au fond qu’un outil auquel on a laissé trop d’autonomie. On jurerait cette position frappée au coin du bon sens. Pourtant d’autres ne l’entendent pas ainsi. L’aspect protéiforme de l’Europe peut être dépassé grâce à une gouvernance économique plus forte, rendue indispensable pour faire face à la crise. Les Etats se placent alors sous le contrôle d’une banque centrale omnipotente, à qui seront même dévolus des pouvoirs de sanction. Au lieu de répondre à la crise sur le plan de l’injustice faite aux citoyens par un système défectueux, on y répond au contraire par un alignement draconien sur le moins disant social et l’accélération de ce système vers ses penchants les plus contestables.  Mais attention : à trop vouloir serrer les boulons on peut casser la structure. Sauf à laisser se multiplier les bulles spéculatives, avec les conséquences que l’on sait, il n’y a pas de croissance sans relance, pas de relance sans consommation, pas de consommation sans  salariés massivement en état de consommer.

Si contre toute attente la crise financière mondiale constitue bien pour le libéralisme dérégulé un formidable accélérateur , elle a permis également de définir plus précisément l’ampleur des clivages et des contradictions qui corsètent la société contemporaine. La nouvelle actualité du mot « révolution », que l’on doit à la détermination populaire de nos proches voisins arabes, montre  avec quelle vigueur est en train de se constituer sous nos yeux les éléments constitutifs  d’un véritable rapport de forces dont il serait mal venu d’ignorer l’importance.

 

G.L

 

 

 

 

 

 

 

 

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10 janvier 2012 2 10 /01 /janvier /2012 10:01

 

 

Sous l’impulsion de Lilian Thuram, Commissaire de l’exposition, « Exhibitions - L’Invention du Sauvage »,  jusqu’au 3 juin 2012 au Musée des Arts Premiers de Paris, donne à voir et à méditer l’extraordinaire aveuglement de l’Occident face à la découverte de l’Autre. Et à la lumière du passé  invite à une nouvelle vision de l’altérité. Salutaire. 

 

 

En 2010, avec son film « La Vénus Noire », le réalisateur Abdellatif Kechiche retraçait le destin malheureux de Saartjle Baartman, dite « Vénus hottentote ». Exhibée au début du XIXème siècle dans les freaks-shows à succès des bas-fonds londoniens, la jeune africaine va devenir à Paris le cobaye de prédilection de George Cuvier, l’un des plus éminents savants de son temps. Celui-ci dira à son propos : « Je n’ai jamais vu de tête humaine plus semblable à celle des singes ». Même s’il reconnaît ses évidents talents de musicienne et sa capacité à parler plusieurs langues, Cuvier pense tenir là la preuve irréfutable de l’infériorité de la race noire. Le moulage du corps de la Vénus noire, ainsi que son squelette, seront exposés au musée de l’Homme à Paris jusqu’en… 1974 ! Ce n’est qu’en 2002, sur la requête de Nelson Mandela, que Saartjle Baartman, de son vrai nom Sawtche, sera finalement rendue à sa terre natale, l’Afrique du sud, au cours de funérailles nationales.

 

« Exhibitions – L’Invention du Sauvage », l’exposition du Musée du Quai Branly à Paris, propose elle aussi au visiteur une descente dans les enfers de l’ethnocentrisme et du racialisme européens. C’est l’histoire de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants qui, venus d’Afrique, d’Asie, d’Océanie ou d’Amérique, furent exhibés dans les cirques, théâtres, foires, cabarets, zoos, défilés, jardins d’acclimatations ; ou encore dans les villages reconstitués des expositions universelles et coloniales. Un processus qui commence à la fin du XVème siècle et au début du XVIème siècle dans les cours royales et va croître jusqu’au milieu du XXème siècle en Europe, en Amérique et au Japon.

 

 

Portrait de l’Autre en phénomène de foire

 

 

Avec ces « zoos humains », nous sommes confrontés au pire échec de l’humanisme occidental : le rendez-vous avec l’Autre et avec les diversités dont il est porteur a été complètement raté. Pourquoi ? Sans doute parce que la puissance européenne est née en grande partie de sa foi aveugle en sa mission divine, civilisatrice et expansionniste, capitaliste et unificatrice, à quoi aucun autre projet terrestre ne pouvait sérieusement s’opposer. Une vision d’absolu dans laquelle le respect des différences a été tenu dans l’angle mort.

 

De sorte que l’Autre aux yeux de l’Européen est nécessairement un monstre, un anormal, un être inférieur : un Sauvage.  Depuis 1492 et le premier retour de Colomb à la Cour d’Espagne, rapportant avec lui six Indiens, l’Autre a été exhibé comme un échantillon, un pur objet de curiosité. Entre 1850 et 1930, cela devient même un divertissement populaire qui attire des foules considérables, qui en frémissent d’horreur et de dégoût ravis. C’est l’invention de la ville moderne, et donc de l’ennui. Il faut à l’individu des dérivatifs. On estime à plus d’un milliard les visiteurs de ces expositions exotiques d’un goût douteux. Il faudra attendre l’invention du cinématographe pour que le public s’en détourne progressivement. La dernière en date aura lieu à Bruxelles en 1958 : l’exhibition d’un village congolais, avec sa population, sera critiquée au point d’être définitivement abandonnée.

 

De tels spectacles renvoient aujourd’hui davantage à la monstruosité du regardant qu’à celle du regardé. Comment le continent des Lumières a-t-il pu, et avec quelle bonne conscience, fabriquer une véritable culture de la discrimination et du racisme ? On comprend mieux, en visitant l’exposition du quai Branly, le double enjeu de ces sinistres exhibitions. Sur le plan intérieur, au-delà du divertissement du public, il s’agissait, par la monstration d’une prétendue a-normalité, de renforcer la puissance normative du XIXème siècle. Sur le plan extérieur, en présentant l’Autre comme animal plus que comme être humain, l’Empire colonial légitimait ses prédations tout en exaltant ses vertus civilisatrices.

 

En cela, cette « invention du sauvage », en niant la spécificité des cultures autres, a été la première désinformation à échelle planétaire. Base de la pensée raciste, eugéniste et génocidaire, c’est cette tradition qui, prenant un tour nouveau, présentera aux parisiens, de septembre 1941 à janvier 1942, la tristement célèbre exposition « Le Juif et la France » ; prélude à la « solution finale ». La grande vogue des zoos humains a donné naissance à un nouvel imaginaire, fondé sur une erreur scientifique (la notion de race) et une faute morale (la discrimination). Ce clivage entre « eux » et « nous », que rien ne justifie, n’en reste pas moins l’outil toujours actuel des incurables promoteurs de « l’identité nationale ». Il est également à la base d'un certain voyeurisme touristique entiché de folklore et totalement aveuglé d'occidentalo-centrisme. Une nouvelle culture de l’Autre reste plus que jamais à inventer et à défendre. L’exposition du quai Branly tombe à point nommé pour nous le rappeler.

 

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26 octobre 2011 3 26 /10 /octobre /2011 16:07

 

 

                                                                       Vive la dette !

 

Le chaos a pour essentielle vertu de fixer le point de départ pour des logiques nouvelles. Si aux « Trente Glorieuses » ont succédé les « Trente Piteuses » de la Crise, la situation actuelle ressemble fort à un moment de vérité. C’est tout son danger et tout son intérêt. Esquisse d’une mutation en cours.

 

Qui se souvient qu’il n’y a pas si longtemps, le gouvernement français se demandait à n’en plus finir « que faire de la Cagnotte » (80 milliards quand même) ? Relativité des richesses et des dettes…

Car depuis l’été, c’est reparti : rien ne va plus au sein du grand casino mondialisé. La crise, en entrant dans sa troisième phase, a repris depuis l’été une vigueur singulière. Acte 1 : la panique mondiale déclenchée par la folie des subprimes et la crise de l’immobilier aux Etats-Unis a mis à mal l’ensemble des places boursières, révélant la fragilité d’un système bancaire international intoxiqué par la contagion de ces prêts hasardeux et par leur extrême complexité (2008). Acte 2 : pour « sauver les banques » trop engagées dans ces montages irresponsables, et dans le but de préserver l’économie de la paralysie totale, les Etats s’endettent alors même que leurs déficits sont déjà importants. Certains sont en situation, longtemps dissimulée, de quasi-faillite : c’est le cas de la Grèce. Mais les déficits affectent aussi l’Espagne, le Portugal et l’Italie. C’est alors toute la zone euro qui est dans le viseur (2009). Acte 3 : les Agences de notation, qui ont jusqu’au bout soutenu les subprimes et n’ont rien vu venir de la crise de 2008, rendues nerveuses par les atermoiements de la Communauté européenne à prendre position pour soutenir la Grèce et la frilosité de l’administration Obama, se retournent résolument contre les Etats désormais fragilisés à des degrés divers. C’est ce qui donne à cette troisième phase (2011) un tour plus sombre : ce qui avait réglé la crise précédente, l’Etat, n’est désormais plus en mesure d’assumer le sauvetage général. Dès lors, on entre dans l’inconnu. Et s’il est bien une chose que déteste l’économie, c’est bien l’inconnu.  

Les agences de notation ont donc fait une entrée remarquée sur le devant de la scène. D’où vient leur pouvoir exorbitant ? Du simple fait qu’on les écoute. Même si elles se sont lourdement trompées, même si elles ont profondément abusés les investisseurs, tout leur est pardonné parce qu’elles donnent du sens et de la lisibilité à un monde en plein brouillard. Mais elles introduisent un double malentendu. Oracles des temps modernes, leurs prophéties sont autoréalisantes : sur un marché, la vision la plus communément admise par les acteurs prime sur l’état réel du marché. L’opinion gouverne, pas le réel. Or c’est lorsque le principe de réalité s’impose finalement au virtuel qu’apparaissent les crises, avec l’explosion des bulles spéculatives. En favorisant ainsi les hallucinations collectives tout en se posant comme juges de paix, les agences de notation sont directement responsables d’une bonne part du chaos ambiant. Elles n’ont donc rien de simples indicateurs fiables et impartiaux.

Le second malentendu : un Etat n’est pas une entreprise, même si les derniers fondamentalistes du marché s’entêtent encore à le croire. Parce qu’il est très complexe de faire la part, dans la dette souveraine, de la bonne dette (l’investissement, gage d’avenir) et la mauvaise dette (le cumul excessif d’emprunts qui plombe l’avenir), comment peut-on prétendre noter un Etat ? Car au bilan d’un Etat devrait figurer le niveau de vie, de bonheur, de santé, d’éducation et de sécurité de ses concitoyens (on parle aujourd’hui de modifier les paramètres dans le calcul du PIB). Les valeurs non matérielles sont essentielles à la vie et à l’avenir des individus. Oui mais voilà : elles ne pèsent rien au trébuchet de la finance.

Dans la panique on en oublierait presque quelques vérités toutes simples. Comme celle-ci par exemple : que se passe-t-il lorsqu’un créancier est aussi le principal fournisseur de son débiteur ? Eh bien le créancier atténue l'effet des remboursements, par exemple en révisant à la baisse ses taux d’intérêt ou en rééchelonnant les paiements, afin d’éviter à tout prix de tuer son client et continuer à commercer avec lui. C'est la limite aux cris d'orfraie de l'Allemagne (dont 80% des exportations se font à l'intérieur de l'Europe), qui devra à un moment ou à un autre savoir ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain ; elle y a tout intérêt. Idem la Chine, devenue grand argentier du monde. Sa croissance, si elle reste élevée (plus de 9%), n'en est pas moins en baisse. Banquier, certes ; mais surtout usine du monde, la Chine devra à un moment ou à un autre se satisfaire de ce que les pays pourront lui donner et du rééchelonnement qu'ils seront à même de lui imposer, si elle ne veut pas perdre elle non plus la quasi-totalité de sa clientèle.

Des marges de manœuvres existent donc. Mais pour cela, il faut une volonté politique. Le retour du politique, histoire de remettre un pilote dans l’avion et de fixer un cap.

Le pilote aurait pour mission première de sortir du dilemme vicieux : remboursement de la dette ou croissance. Les deux sont nécessaires. L’exemple grec est significatif : la dette grecque est en grande partie due à la non perception des impôts. On réduit donc les dépenses de l’Etat. Du coup, moins de contrôleurs pour assurer les rentrées fiscales… Si la cure tue le malade, il faut changer de traitement. Idem si on asphyxie la consommation. Sans elle, pas de relance. Nécessité de penser, plus que jamais, « en dehors de la boîte ».

Le politique, on l’avait cru disparu dans les méandres illusionnistes de la « fin de l’Histoire », théorie qu’inspira naguère la disparition de l’Union soviétique (décembre 1991) et qui n’avait d’autre but que de rendre définitivement hors de doute et de question la pensée économique dominante (Ecole de Chicago, Hayek, Friedman). On croyait alors bien innocemment qu’un marché totalement dérégulé, dopé à coup de délocalisations, de privatisations et de diminutions drastiques des dépenses publiques, suffirait à asseoir la nouvelle société mondialisée. On vit alors apparaître une nouvelle donne où les inégalités, qui avaient été depuis un siècle régulièrement combattues, se creusèrent dans des proportions proprement vertigineuses, laissant en friche des pans entiers de la société, condamnée au chômage de masse et à la paupérisation programmée.

Aujourd’hui chacun l’admet : le « laisser faire » et sa célèbre « main invisible » viennent de toucher leurs limites, le politique a bien du mal à opérer son retour dans l’arène. Fragilisé aux Etats-Unis avec un Obama désavoué par son Congrès, empêtré dans les divisions internes et le manque de gouvernance comme en Europe, il demeure foncièrement hésitant. Même si personne ne conteste plus aujourd’hui le nécessaire retour à une économie plus éthique et mieux encadrée, les choses hésitent encore à se mettre en place.

Car ce qui n’est plus assuré, c’est bien ce principe intangible : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Plus que nos économies, c’est la sauvegarde de notre modèle républicain qui est en jeu. Nos élus attendaient du citoyen qu’il admette sans comprendre : qu’il admette le chômage de masse en contrepartie du maintien de son pouvoir d’achat, la casse du service public au prétexte d’économie budgétaire, la crise étendue sur plus de 30 ans au nom de réajustements provisoires d’un système prétendument parfait. Cette époque vient de prendre fin. Les « Indignés » manifestent déjà bruyamment leur mécontentement, quand l’indignation ne tourne pas à l’émeute, comme en Grande-Bretagne. Et le premier ministre islandais, jugé pour son rôle dans les malheurs économiques de son pays, vient de passer devant un tribunal. Pourquoi les Etats se sont-ils dépouillés sans contrepartie en faveur des banques ? Pourquoi se sont-ils laissé encadrer par la finance au lieu d’encadrer la finance ? Les faits et les responsabilités devront être établis.

La dette de l’un est la dette de tous. Lorsque cette réalité comptable deviendra réalité politique, l’Europe aura fait un bond énorme vers cette maturité qui lui fait jusqu’ici si cruellement défaut. La nouvelle donne nous place désormais devant un choix clair : demain, nous serons soit solidaires soit morts. Alternative au fond assez morale, et pour tout dire assez réjouissante.

De la « main invisible » au coup de pied au cul bien visible, le monde est bel et bien contraint au changement.

 

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18 septembre 2011 7 18 /09 /septembre /2011 09:44

 

 

 

Ici

 

(à la mémoire d’Edouard Glissant)

 

 

 

 

Il y fallait du bleu, la mer antéposée, nécessaire. On y flanquait ces inévitables paillotes de Polynésie, sous quelque latitude que ce soit, partout les mêmes, sans égards, de Bahia à Bangkok. Les mêmes paillotes, le même bleu, la même morne songerie au bord des mêmes piscines. On appelait « vacance » cette inflation du même. Les gens d’ici riaient, mi-admiratifs, mi-incrédules : eux ne bougeaient pas encore. Pas de congé ; parfois des migrations. Les portes de l’ici sur eux se refermaient. On ne voulait pas de cette engeance. On les laissait dehors. Ils disaient, dans un hochement de tête, graves : On n’est plus chez soi. Parfois quelques paillotes brûlaient.

 

Là-bas vint à manquer. On dit qu’Howard Hughes déjà, en quelque lieu du monde qu’il se trouvât, pilotait son avion intercontinental jusqu’au même coin dans le même hangar, dormait dans la même chambre des mêmes hôtels, toujours. Exactitude du même. Hallucination du même. L’hypodermique Ici, celui que l’on trimballe partout, la terre sous les ongles de notre fichu natal, s’imposa. De là-bas on ne parla plus. On finit même par se satisfaire de ce brillant ailleurs du même. Là-bas le même, c’est ici. Une pure et simple réitération. Le monde, bien près d’y disparaître.

 

C’est la vue d’abord qui abandonne. Qui dit : toujours pareil. Pour un peu on souhaiterait l’ouragan, que ça déborde, que les piscines sortent de leur lit, se mêlant à la folie des éléments en chaos autochtone.

 

Sont venus plus experts randonneurs. J’entends : plus experts de leurs rêves. Ils avaient gagné en imagination ce que le monde avait perdu en réalité. Des sortes de poètes, avec des pas de marcheurs. Tout ce bleu, cette mer antéposée : il fallait creuser, passer à travers leur voile d’illusion. Ils redressèrent un à un tous les plans qui avaient été foulés. Sous les pistes de l’atterrir retrouvant des lagons de légende. Comme ils venaient de partout leur langue n’était pas bien sûre, il fallait tendre l’oreille. C’était langue créole, travaillée d’extérieur, entachée de mondes et de diversités. C’était langue crépitante, palpitant comme feu dans le foyer des danses. Lente langue sacrée de nulle part venue dans laquelle le parcours du là-bas réinstaure un ici. Voyez-la, comme elle court, passe de l'un à l'autre. Voyageant à yeux grands ouverts c’est cela que vous comprenez enfin : il n’est d’ici qu’en son débord. Il n’est d’ici autrement que dans l’encourt du vivant. A grandes libations d’immédiat, de partage.

 

 

 

 

(Copyright-Gérard Larnac 2011)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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