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2 mars 2013 6 02 /03 /mars /2013 10:07

 

 

 

 

Planquer Beckett

 

non plus cette question je ne me la poserai plus. Avancer. Tâtonner. Comme sans dire. Ecrire s’il le faut, mais comme après le tout dernier point final. Comme depuis un dehors de la langue. Comme sans dire.

dans l’innommable, cheminer. Depuis l’impossibilité du monde. L’impossibilité du moi. J’en ai fini avec les langues désespérantes. Tout ce bruit me fatigue. Qu’un personnage fictif se lève, commence à jouer les raisonneurs, je l’abats, je te jure, d’une balle entre les deux yeux.

alors quoi, attendre. Qu’il y ait, je ne sais ; cette sorte de commencement. Peinture d’aube retenue. Comme ces couleurs que le peintre utilise pour ralentir la sensation. La retenir. La contenir comme un sperme pré-jaillissant. L’événement lourd rumine en lui-même. Il y a dans l’événement comme un sommeil de brute. N’était cet improviste, qui nous sauve.

quand nous aurons trouvé le moyen de communiquer avec les mondes parallèles comment, avec quelle lenteur, nous y incarnerons-nous. Arriverons-nous sans habits au milieu de foules indifférentes. Comment y prendrons-nous corps. Où s’égareront nos pensées. Comment y prendrons-nous langue. Apparition. Transparition. Le tout premier mot que nous effacerons de nos mémoires sera « ici ». Le tout premier mot que nous effacerons de nos mémoires sera « maintenant ». Ni ici ni maintenant : juste cette sensation crue qui fait comme un visage, quand il commence à pleurer, qu’on feint de ne rien voir.

ce que c’est qui peut le dire. Nous ne le dirons pas. A la nuit lasse des lampes, juste à se demander si c’est aussi le fin, ou si la fin existe. Il y a de l’intraduisible. « Nos désirs font désordre » dit le slogan. Mot après mot déboîter le sens. La formule nue. A la fin rien. Rien : sans cesse commence.

le monde n’arrive qu’une fois à une infinité de moi. Comme à pieds on s’acquitte de la dernière marche sur la dernière route. Ces mêmes distances que le froid parcourt. Qui va là dans le proche lointain. Qui va là que rien ne désigne. Ou qui, une fois désigné, s’éteindrait. Disparaît sous l’étreinte.

il arrive la nuit que l’on reconnaisse la montagne aux étoiles manquantes.

 

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1 février 2013 5 01 /02 /février /2013 10:01

 

 

L’économie productiviste, devenue consumériste, opère une nouvelle mutation vers une économie dite « contributive ». Le monde entier s’y prépare, en Chine comme aux Etats-Unis. Un nouvel état d’esprit  planétaire. Enfin un avenir digne de ce nom pour nos sociétés post-industrielles.

Dans les années 60 et 70 du siècle passé, la cohésion sociale était forte, l’organisation des entreprises était strictement  pyramidale, les salaires progressaient régulièrement, l’ascenseur social fonctionnait à plein et le lien social était assuré. Aujourd’hui  les stratégies d’externalisation et de délocalisation ont réduit la notion de travail à un coût qu’il s’agit de faire baisser toujours plus. L’entreprise fluide s’horizontalise à partir d’une myriade de sous-traitants, dont la sélection s’opère selon le seul critère qualité/prix, voire uniquement prix. La compétence devient une charge. Le salaire réduit à un coût n’a plus d’autre vocation que de baisser toujours plus, quelles qu’en soient  les conséquences morale, sociale, écologique et politique. Les liens sociaux se distendent. Les solidarités anciennes disparaissent. Tout devient compétition.

Du coup ce n’est plus l’entreprise qui est pyramidale, c’est la société toute entière qui le devient, dans des proportions jamais vues, et tel qu’on ne le pensait plus possible. La colère monte. L’incompréhension. La déprime. Les boucs émissaires habituels en période de décohésion sociale sont désignés : l’étranger, l’immigré, l’autre. Ce n’est pourtant pas l’immigré qui nous rend étrangers dans notre propre société, ce sont les chemins étranges que notre société a décidé d’emprunter depuis quarante ans pour édifier, à l’écart de toute logique démocratique mais au vu et au su de tous, la forteresse imprenable des nouvelles oligarchies.

Les ressorts du monde qui est le nôtre sont bien connus. Le premier est idéologique. Certains le nomment « la révolution conservatrice » (Milton Friedman et l’école de Chicago, mise en musique par le thatchéro-reaganisme et reprise un peu partout sous la forme de financiarisation de l’économie). Le deuxième est technologique : l’apparition d’un formidable démultiplicateur de productivité, l’informatique. Le troisième enfin est géographique : la globalisation et son corollaire, la délocalisation.

L’économie fondée sur l’exploitation des ressources tend de plus en plus à disparaître. Un nouveau modèle émerge, réticulaire, fortement contributif. Il ne s’agit plus d’exploiter ni de posséder, mais de partager. De cette nouvelle économie de la contribution on connaît les outils, au premier rang desquels le web. Mais sa logique nous reste étrangère : plus on donne et plus il nous est donné. Car sa matière première est infiniment duplicable : l’information.

Depuis la mise en question de l’économie financiarisée et de ses dogmes (notamment sous l’effet de  la crise de 2008), nous entrons pour la première fois de notre histoire dans une civilisation mondiale où la création de la société nouvelle se fonde sur la préservation des ressources naturelles et l’apparition d’une intelligence collective à échelle planétaire. Tout est à réinventer : la culture managériale, l’espace marchand-non marchand, la logique des échanges, la pratique déterritorialisée des territoires, les nouveaux modes de rémunération … Les blocages, on s’en doute, sont considérables ; car c’est la notion même de pouvoir, dans sa globalité, qui est remis en cause. Idem pour le travail, la consommation, la gouvernance, la logique des affaires, la citoyenneté, l'éducation, la culture....


Aux Etats-Unis on n’a jamais attendu « le marché » pour décider  d’investir dans les secteurs de transformation profonde de la société, l’industrie cinématographique ou  l’économie numérique notamment,  pour  assurer leur développement. Dans les deux cas il a fallu la main bien visible de l’Etat, au niveau fédéral. Et où sont investis aujourd’hui les fonds publics américains ? Dans l’économie contributive, dans « l’open source ». Même la Commission européenne en est convaincue : cette évolution est inéluctable. Ce nouveau modèle économique devrait représenter dans trois ans un tiers des échanges numériques, et s’étendre à bien d’autres domaines. Outre-Atlantique, des voitures sont déjà entièrement conçues et réalisées de façon contributive, notamment un 4x4 pour l’armée.

Ce changement de paradigme va bouleverser radicalement notre existence. Aux figures traditionnelles, et parfois antagonistes, de producteur et de consommateur, va se substituer celle de  « contributeur » ; un acteur qui sera à la fois l’un et l’autre. Les formes disciplinaires du travail traditionnel, basées sur le système sanction /récompense,  vont laisser place à ce que l’on appelle « individuation » : la capacité de chacun à se perfectionner lui-même, à sa façon. Dans un processus contributif l’autorité décisionnelle n’est jamais fixée : c’est la pertinence de l’initiative qui compte, et non le prestige de celui qui en prend la responsabilité. Plus de poste ni de privilège : juste un agir.

La barrière entre travailleur et entrepreneur sera levée. Les individus vont gagner en autonomie, en curiosité, en intelligence, en utilité sociale, en estime de soi. C’en sera fini de la consommation pulsionnelle, du ressassement infini des idées reçues, de la passivité citoyenne. L’opportunité devant laquelle nous place la période historique qui est la nôtre est claire : réactualiser la pensée des Lumières. Mais ne nous  y trompons pas : les blocages seront énormes, violents. Lespetits roitelets de l'ancien monde ne laisseront pas faire.


Au cours de la seconde moitié du XIXème siècle la loi dite « d’enclosure » imposa en Angleterre la privatisation des espaces communs, champs et pâtures, en vue d’améliorer les rendements agricoles. Ce mouvement général de privatisation des biens communs n’eut alors plus de fin : eau, énergie, services… Avec pour conséquence la plus immédiate la destruction du lien social et des solidarités anciennes issus précisément de ces partages collectifs. Il n’est pas interdit de penser que l’ère de l’économie Open Sources constitue une rupture radicale avec ce processus continue d’enclosure qui a eu cours jusqu’à aujourd’hui.

Vers un 1789 numérique et organisationnel ? Telle est en tout cas la promesse de l'économie contributive.

 

 

 

 

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9 janvier 2013 3 09 /01 /janvier /2013 15:44

 

 

 

Manuel de survie en zone de tempête

Pour Yaset

 

« Ce qui vient au monde pour ne rien bouleverser
ne mérite ni égard ni patience ».  (René Char)

 


Lorsque Yaset, pour le Quetton nouveau, m’a demandé mes « recettes pour résister », j’avoue que je suis resté un peu perplexe. C’était m’accorder là une confiance que je me garderais bien de m’octroyer moi-même.

Cependant le verbe « Résister » a suscité immédiatement des noms, des visages, des images : Aung San Suu Kyi, Nelson Mandela, l’inconnu qui arrêta la colonne de chars sur la Place Tien An Men, Bobby Sands, le chanteur chilien Victor Jara, plus près de nous les trois filles des Pussy Riot…

Je songeai aussi à ces deux vieux agriculteurs qu’on voit dans le film « Le Chagrin et la Pitié » : buvant le vin au cul de la barrique, claquant la langue et parlant tranquillement de la façon dont ils avaient organisé le maquis local durant l’Occupation. A la Libération ils n’avaient demandé ni poste ni distinction. Ils s’étaient contentés de reprendre leurs labours là où ils les avaient laissés.

Des hommes.

De quoi, au moment de mourir, se sentir fier quand même d’avoir appartenu pour un temps à cette étrange espèce humaine. Résister : on ne peut décemment vivre qu’à cette hauteur-là.

Alors, afin d’honorer la demande de l’ami, et pour ceux que ça pourrait intéresser, je me suis mis à griffonner quelques indications possibles.

 

*

 

1.      La résistance n’est que la conséquence et la preuve de l’esprit de révolte. L’esprit de révolte la preuve et la conséquence de l’imagination.

2.      Que ta révolte ne soit rien comparée aux hauteurs de ce qui la rend nécessaire.

3.      Résister, c’est restaurer l’intégrité d’un monde possible.

4.      Renverser la limite pour la transformer en possible.

5.      Que la résistance soit d’abord la marque de ce qui en toi avance, confronté aux forces de l’immobilité et de l’inertie.

6.      L’insurgé est pareil à l’artiste véritable : il est le premier d’une espèce qui n’existe pas encore. La solitude est le plus souvent son lot.

7.      A force de faire place à ce que nous refusons nous finirions par ne plus voir le monde qu’au travers de l’image incomplète et maussade d’un miroir fêlé.

8.      Soit athée, avec le sens du sacré.

9.      Ni Dieu ni Maître. Mais des maîtres, au sens chinois du terme.

10.  Fais de toi-même le premier objet de ta révolte.

11.  Entier dans l’action, avec le sens du tout.

12.  Vis sans posséder : tu n’es qu’un passant, un passeur. Voyage léger.

13.  Evite toute situation qui t’imposerait la recherche des honneurs et de la reconnaissance.

14.  Le seul qui doive te reconnaître, c’est toi-même.

15.  Apprend chaque jour à tenir droit.

16.  Sache voir l’inconstant sous la permanence et la permanence sous l’inconstant.

17.  Toute révolte qui ne naît pas d’abord d’un élan de générosité n’est qu’une herbe frelatée. Une défaillance.

18.  L’esprit entièrement pacifique, les mains expertes en armes de toutes sortes.

19.  Sois fidèle aux principes, sois fidèle aux changements.

20.  Un acte n’est rien s’il ne se réfère au contexte large dans lequel il s’inscrit. Rien ne porte en soi de signification.

21.  Une vérité vagabonde, jamais fixée.

22.  La révolte est comme la créativité artistique, elle doit répondre à une nécessité intérieure. Ni pose ni calcul. La seule évidence. Let’s roll.

23.  Si tu n’es pas satisfait de la place qu’on t’a donné, ne rapproche pas la chaise, tire la table vers toi.

24.  La subversion ne se décrète pas a priori, elle se constate après coup.

25.   Ne perd pas ton temps à te révolter contre la mort, la nature, le sort. Concentre tes attaques sur ce qui dépend directement de ton action.

26.  Evite d’avoir commerce avec ceux que tu méprises. Garde ta confiance dans ce peu que tu chéri.

27.  Médite longuement afin de purger ton esprit des concepts et des idées. Puis agis promptement.

28.  Soi libre de tout, et plus encore de toi-même.

29.  La résistance ni la révolte ne sont une fin en soi. Ils ne sont que ta réponse devant le manque d’imagination et de magnanimité.

30.  Conserve jalousement tes ferveurs premières. Ne t’éloigne jamais suffisamment de leur source vive au point de ne plus pouvoir les montrer du doigt.

31.  Préserve-toi de l’épuisement et de la résignation.

32.  N’affronte pas la tempête. Deviens la tempête.

33.  La révolte est cette violence disruptive propre à tout ce qui est occupé à naître.

34.  Si le monde est en ordre tu peux y participer. Si le monde est en désordre, fais-toi oublier en attendant le moment propice.

35.  Nous sommes tous les membres oubliés d’un réseau dormant qui attend d’être réactivé.

36.  La propagande est à la démocratie ce que la violence est à la tyrannie. Ne garde ton attention que pour ce que l’on ne voulait pas te montrer.

37.  La politique n’est pas toute la question, elle ne porte seulement que sur les conditions d’énonciation de la question.

38.  Ne t’enferme pas dans un rôle, fut-ce celui de l’insurgé.

39.  Soi toujours en avance d’un temps, d’une ferveur, sur la chose politique.

40.  La première chose qu’il te faut conquérir est ton entièreté, la première à défendre ton intégrité.

41.  Nourri un projet insensé et sans limites.

42.  Tiens-toi aux avant-postes.

43.  La résistance n’est pas la haine. Chéri ce qui fait de toi un insurgé, car cela t’a peut-être révélé à toi-même.

44.  Sache combien dans un combat il est facile de passer à l’ennemi.

45.  Résiste à l’orgueil de te savoir résistant.

46.  Il s’agit avant tout de dégager le terrain.

47.  Un jugement ne vaut que par la hauteur d’où l’on considère ce qu’il nous faut juger. L’erreur vient de là : le manque de hauteur.

48.  Sache reconnaître le camarade au premier coup d’œil.

49.  Le Maître a pouvoir sur tout, excepté sur sa propre puissance.

50.  Que ta révolte gonfle ses voiles aux vents de la diversité.

51.  On n’est jamais assez révolté. Si tu crois être suffisamment révolté, agrandi ton sens de la révolte.

52.  Rebelle, insurgé, révolté, résistant. Homme, en somme.

53.  Résister, c’est éconduire un présent dépassé pour lui substituer l’immédiat de nos ferveurs nouvelles.

54.  C’est le grand crime des années 80 que d’avoir voulu faire croire qu’on pouvait assimiler la résistance à la réaction. Nous mettrons encore bien des années à nous laver de cette supercherie.

55.  Un marché, c’est l’organisation de la pénurie. La pénurie c’est la coercition. Nous croyons en un monde au-delà de toute coercition et nous disons simplement : il est temps.

56.  L’insurrection est la preuve tangible du vivant.

57.  J’aime les vieux révoltés, ceux dont on ne peut réduire l’élan insurrectionnel à une simple fougue passagère, une excitation printanière, un débordement juvénile.

58.  Que ta révolte ne trahisse jamais ton sens du paradoxe, de la complexité, du contradictoire. Qu’elle se nourrisse d’eux.

59.  Pas de dévoilement ultime. Tout est chemin. Nos errances sont obscures. La pleine lumière de la révélation n’existe qu’au fond des cerveaux malades.

60.  Que dirait-on d’un monde où la rafle du Vel d’Hiv ne soulèverait ni indignation ni révolte ?     

61.  De qui, de quoi suis-je le mur et la limite ? Dites-le moi, que j’aille chercher une masse pour m’abattre moi-même !

62.  Il faut pour se placer en dehors de l’ordre établi une probité, un désintéressement qui confinent à la candeur. Bien peu y parviennent.

63.  La clôture est l’invention la plus folle de l’ordre établi, puisqu’elle montre à tous ce qui doit être franchi. Méfiance, donc, lorsque l’ordre établi dissimule ses clôtures. Plus ardue devient alors la tâche. 

64.  A l’origine de la résistance, le doute. Ne cesse jamais de douter. C’est le premier principe par lequel Descartes chassa les religieux et éclaira l’esprit.

65.  Adhérer à une religion, à une idéologie, c’est régresser au stade où le nourrisson bouffe sa propre merde.

66.  Résiste là où tu es. Tous les moyens sont bons.

67.  De la révolte à l’humilité du sage.

68.  Faute de savoir comment complexifier le sens de leur révolte, ils ont complexifié les raisons de leur renoncement pour mieux se le cacher à eux-mêmes.

69.  L’humour n’est pas indispensable, mais il aide à ne pas trop s’attacher à ses propres pensées.

70.   Dernière règle, la plus importante : c’est à toi de l’écrire.

 

Gérard Larnac

 

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29 novembre 2012 4 29 /11 /novembre /2012 16:56

 

 

 

 

 

 

C’est l’expo à ne pas rater. Jusqu’au 28 janvier 2013, le Grand Palais accueille à Paris le plus célèbre et le plus mystérieux des peintres américains : Edward Hopper (1882-1967). Réaliste, mais à la façon de De Chirico, Hopper installe ses solitudes pour nous renvoyer l’image de ce grand vide métaphysique que nous connaissons sous le nom de modernité. Rendez-vous avec un voyeur visionnaire.

 

 

 

Edward_Hopper_Pennsylvania-Coal-Town-1947.jpg Des fenêtres. Comme autant de tableaux alignés. Exposés. Voilés. Tragiques. Comme au hasard, Edward Hopper écarte le rideau sur des chambres d’hôtel, des bureaux, pris dans la masse des buildings de Manhattan et la sérialité du béton armé. Nous invitant à méditer sur une scène furtivement entrevue, un corps vague, un visage dont l’expression ne parvient pas jusqu’à nous. Ailleurs ce sont des carrefours vides, des coins de rues désertes. Là des lobbies, des lieux d’attente, des lieux de transit, des stations services de bord de route (« Gas », 1940). Tout est toujours immobile, absent, déjà achevé. La vie vacille, entre illusion et nécessité. On repousse le sujet aux arrière-plans. Le sujet, c’est précisément cette absence de sujet. Tout est perpétuellement ailleurs. Ne reste que des décors quasiment désertés. Comme un théâtre où les comédiens se refuseraient à tenir leur rôle, au prétexte qu’ils n’y croient plus.

 

 La modernité, en inventant les foules urbaines, a jeté comme un doute : qui sommes-nous, comment pouvons-nous encore prétendre nous constituer en tant que sujets libres et autonomes ? Incommunicabilité, partout. Même à plusieurs, l’homme est seul, irréductiblement. Des solitudes où même les chiens ne répondent plus aux appels de leur maître. Les corps se croisent, se manquent, s’ignorent. L’homme lit le journal, la femme pianote vaguement, comme dans « Room in New York » (1932). L’un est absorbé ou feint de l’être, l’autre attend. Rien n’est synchrone. On se rencontre, la tête ailleurs, comme dans « Chop Suey » (1929). Forgeant simplement, jour après jour, banalité après banalité, l’hypothèse de vivre. Est-ce la nuit d’hiver trop tôt venue, le monde baigne dans une onirique torpeur d’« after hours » (« Office at night », 1940). L’effroi n’est jamais loin.

 

 Edward Hopper fit de nombreux séjours dans le Paris du début de XXe siècle, où il fut marqué par l’impressionisme. De Degas il retient une conception de la vie comme théâtre, comme mouvement suspendu. D’Albert Marquet les formes massives de l’architecture moderne. L’art moderne est lui-même cette confrontation entre l’intériorité d’un sujet qui tente de se constituer et la massification urbaine, avec la perte des espaces et des cycles naturels qui éloigne toujours un peu plus l’homme de lui-même. En cela, même lorsqu’il dénonce la mode de l’abstrait, Hopper est résolument moderne. Son œuvre réconcilie le réalisme des impressionnistes avec les avant-gardes, Pollock, Rothko, de Kooning. Son travers désenchanté fait même signe plus loin, vers le Pop Art.

 

 Dans la peinture d’Edward Hopper l’homme se sait mortel. Il connaît la sentence. Il attend. Il n’élude pas. Sous une lumière rasante qui éternise subitement un instant particulier, Hopper nous prend à témoin du monde contemporain dans toute son étrangeté. Alors, un peu, on relève la tête pour goûter l’étrange stupeur de la lumière du soir, juste avant la plongée dans le noir.

 

 

 

Gérard Larnac

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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24 novembre 2012 6 24 /11 /novembre /2012 09:41

 

 

 

 

Moi-même, moi-même, moi-même... Mais je ne suis moi-même que lorsque je suis la somme
des vivants et des morts !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 11:55

 

 

 

comme ces plaques de métal fin qu'on tort dans les coulisses pour faire un bruit d'orage

nous croyons être là - un rien, décidément, nous abuse

 

nous poursuivons des monstres sous un ciel d'abattoir

du cirque pas d'amour

carcasses mâchoires féroces

plus de violence créatrice

à la place la pure brutalité

 

vénérables gâteux se donnant l'acolade

tandis que leurs peuples joyeusement s'entretuent

l'abondance

la pénurie

le marché, comme ils disent

le point à partir duquel toute pensée se tait

 

c'est un désespoir bien grand de n'être pas compris

mais c'en serait un plus insupportable encore

de se contraindre au silence

tout ce qui vit en moi a été insulté

mais un souffle demeure

- la joie secrète, secrètement subversive 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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28 octobre 2012 7 28 /10 /octobre /2012 10:35

 

 

 

 

écrivons-nous là les derniers vers de la toute dernière poésie dans le fracas bouillie d'os fausses nouvelles la pire humanité possible a volé les commandes au nom des droits de l'Homme à se faire enculer par le premier salaud qui passe sommes-nous vraiment les derniers des poètes acharnés oubliés étrangement vivants dans les remugles de joies anciennes graffitis à mystère formules propitiatoires paroles talismaniques nos magies ne fonctionnent plus depuis qu'elles ont été repérées par les types de la pub le mot qui vend le dernier aspirateur vaut tellement plus que le mot hors commerce sommes-nous les derniers vraiment nos murmures imprègnent les messageries vocales au long des longues nuits décomposées comme cadavre retrouvé sur son lit vautré éventré dépecé des mois après la vie dans la puanteur immense du définitif faut être sacrément dans la merde aujourd'hui pour lire un poème alors même ceux qui nous lisent ils nous détestent un peu plus d'ombre métaphysique au fond de la ruelle partout cette même lumière de supermarché avec dans les oreilles nos musiques sacrées juste pour l'ambiance les écrans de contrôle ont capté nos tristesses nos rêves sont géolocalisés il pleut sur nos battements de cils pourtant on se souvient que parfois le hasard tombe juste. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(Copyright Gérard Larnac - octobre 2012)

 

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18 octobre 2012 4 18 /10 /octobre /2012 12:03

 

 

courir encore les routes par les froids infernaux Dharma Bums intraduisibles tout est à l'arrêt les machines elles-mêmes sont à l'arrêt dans le Now/Here NowHere de la travelling zone tu tournes en rond tu fausses compagnie prêt à tout pour sauter hors du monde dans le premier train qui passe et fendre l'horizon nom de dieu jusqu'au con juteux du levant allez garçon il est temps d'embarquer mais rien ne vient rien ne passe ni train ni autocar les avions sont en panne et les ports désertés bel entonnoir de l'avenir je t'emmerde je te préviens je ne me rendrai pas vivant les machines à dégoupiller le temps maintenant ça suffit rien n'est en ordre de toute façon l'océan baratte nos vieilles viandes à rêves et le ciel nous enclume à des étals brûlants le World Trade Center est le trou dans la tête des nations suicidées par le fric quelle importance oh pas la moindre tu ne vas tout de même pas chercher un sens à tout ça même les aérogrammes ne partent plus et les terrains d'aviation redeviennent peu à peu des terrains vagues où finit de se consummer le vide de nos destinations vides.

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29 septembre 2012 6 29 /09 /septembre /2012 15:49

 

 

Inquiéter les routines

 

 

1.

 

Ecoute le bruit rouillé

girouette et vent toxique

allez allez

fini de rire

tout le monde est mort

la postérité tire la gueule

à l’angle des rues vides.

 

2.

 

On n’écrira plus de livre. Pas comme ça.

Plus maintenant. Avec cette mesquine gravité

de none le cul à l’air.

Plus de type avec une tranche de jambon

sur la queue

à se demander que faire après

s’il faut continuer

à faire le malin

ou pas.

 

  

                                                                              es-tu encore vivant,

dis ?

          3.

 

Les trottoirs brûlent

ils ne nous portent plus.

Noirs, huileux comme des mares

- inattentifs à nos pas d’hommes

semelles, bedaines,

mâchoires serrées à te faire

exploser les dents.

 

4.

 

Foxtrot Planet News

Edité chez Fuck You Press, 261 Columbus Avenue San Francisco CA 94133

un titre et rien d’autre

la danse des pages blanches

mets-y ce que tu veux

n’importe quel monde fera l’affaire

pourvu seulement que ce ne soit pas celui-ci

 

  

e
s
-
tu encore vivant, dis ?

 

 

Es-tu encore vivant,

dis ?

 

5.

 

C’est l’heure où

tu devrais dessouler ou te soûler pour de bon

poussant l’état d’alerte à la limite extrême.

Les vraies belles les vrais beaux les vrais libres

de toute façon

ne sont plus là.

Quelle différence ça fait.

 

6.

 

L’homme vrai pour autant qu’il existe

il titube il bafouille.

Toute cette foutue lumière l’aveugle

Il reste là pourtant

balbutiant l’effroyable

buvant son Chianti aux terrasses immobiles de North Beach

griffonnant de furieux kama-sutra électriques

sur le dos des menus

e
s
-
tu encore vivant, dis ?

 

Es-tu encore vivant,

dis ?

 

7.

 

Dans la nuit tous les trains ont flambé.

Sous la verrière oeil crevé des gares de la contre-culture

Allen Ginsberg Jack Kerouac William Burroughs Brion Gysin Neal Cassady Gregory

Corso Claude Pélieu Lawrence Ferlinghetti Michael McClure Gary Snyder Bob Dylan

Ken Kesey Tim Leary

dansent au son pesant des muses folkloriques

à pas lent dans les gravas.

Plus de temps pour la frime. Au-dehors

c’est glacial.

 

8.

 

A moins d’écrire bien sûr

après le point final.

Noircir le paysage

inquiéter les routines

transmettre les rudiments obscurs

d’une langue inconnue

 

e
s
-
tu encore vivant, dis ?

 

Es-tu encore vivant,

dis ?

9.

 

Le chant répugnant de l’oiseau sans tête.

Quelqu’un demande à quelle heure

commence le premier set

Mais le guichet roucoule

et bruit désagréablement

de tant d’ailes à l’étroit.

Le temps presse.

 

10.

 

En ce temps-là figurez-vous

la mémoire n’avait pas tout envahi

nos corps faisait de l’auto-stop dans la neige

et l’amour dans des cuisines solaires avec des inconnues.

il y avait encore si peu d’espace

entre nos désirs et nos vies.

Vieillir c’est ça.

C’est réduire l’enthousiasme à nos doutes

sans être capable

d’en mourir sur le champ.

 

 

e
s
-
tu encore vivant, dis ?

 

Es-tu encore vivant,

dis ?

 

 

11.

 

il y a des fleurs qui ne poussent

que dans les souterrains

il n’y aura pas de prochaine fois

il n’y aura pas de seconde chance

tu n’es pas dans un jeu radiophonique

à la con

tout est maintenant

ou jamais

 

12.

 

là où la mer se brise

le cri parle

encore faut-il atteindre

cette solitude de sutra et de plein vent

sans pop-corn

sans smartphone

dans le silence enfin reposent

nos mains d’artificiers.

 

 

  Gérard Larnac - septembre 2012.

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23 septembre 2012 7 23 /09 /septembre /2012 15:53

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(Copyright Gérard Larnac septembre 2012)

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