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10 janvier 2012 2 10 /01 /janvier /2012 10:01

 

 

Sous l’impulsion de Lilian Thuram, Commissaire de l’exposition, « Exhibitions - L’Invention du Sauvage »,  jusqu’au 3 juin 2012 au Musée des Arts Premiers de Paris, donne à voir et à méditer l’extraordinaire aveuglement de l’Occident face à la découverte de l’Autre. Et à la lumière du passé  invite à une nouvelle vision de l’altérité. Salutaire. 

 

 

En 2010, avec son film « La Vénus Noire », le réalisateur Abdellatif Kechiche retraçait le destin malheureux de Saartjle Baartman, dite « Vénus hottentote ». Exhibée au début du XIXème siècle dans les freaks-shows à succès des bas-fonds londoniens, la jeune africaine va devenir à Paris le cobaye de prédilection de George Cuvier, l’un des plus éminents savants de son temps. Celui-ci dira à son propos : « Je n’ai jamais vu de tête humaine plus semblable à celle des singes ». Même s’il reconnaît ses évidents talents de musicienne et sa capacité à parler plusieurs langues, Cuvier pense tenir là la preuve irréfutable de l’infériorité de la race noire. Le moulage du corps de la Vénus noire, ainsi que son squelette, seront exposés au musée de l’Homme à Paris jusqu’en… 1974 ! Ce n’est qu’en 2002, sur la requête de Nelson Mandela, que Saartjle Baartman, de son vrai nom Sawtche, sera finalement rendue à sa terre natale, l’Afrique du sud, au cours de funérailles nationales.

 

« Exhibitions – L’Invention du Sauvage », l’exposition du Musée du Quai Branly à Paris, propose elle aussi au visiteur une descente dans les enfers de l’ethnocentrisme et du racialisme européens. C’est l’histoire de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants qui, venus d’Afrique, d’Asie, d’Océanie ou d’Amérique, furent exhibés dans les cirques, théâtres, foires, cabarets, zoos, défilés, jardins d’acclimatations ; ou encore dans les villages reconstitués des expositions universelles et coloniales. Un processus qui commence à la fin du XVème siècle et au début du XVIème siècle dans les cours royales et va croître jusqu’au milieu du XXème siècle en Europe, en Amérique et au Japon.

 

 

Portrait de l’Autre en phénomène de foire

 

 

Avec ces « zoos humains », nous sommes confrontés au pire échec de l’humanisme occidental : le rendez-vous avec l’Autre et avec les diversités dont il est porteur a été complètement raté. Pourquoi ? Sans doute parce que la puissance européenne est née en grande partie de sa foi aveugle en sa mission divine, civilisatrice et expansionniste, capitaliste et unificatrice, à quoi aucun autre projet terrestre ne pouvait sérieusement s’opposer. Une vision d’absolu dans laquelle le respect des différences a été tenu dans l’angle mort.

 

De sorte que l’Autre aux yeux de l’Européen est nécessairement un monstre, un anormal, un être inférieur : un Sauvage.  Depuis 1492 et le premier retour de Colomb à la Cour d’Espagne, rapportant avec lui six Indiens, l’Autre a été exhibé comme un échantillon, un pur objet de curiosité. Entre 1850 et 1930, cela devient même un divertissement populaire qui attire des foules considérables, qui en frémissent d’horreur et de dégoût ravis. C’est l’invention de la ville moderne, et donc de l’ennui. Il faut à l’individu des dérivatifs. On estime à plus d’un milliard les visiteurs de ces expositions exotiques d’un goût douteux. Il faudra attendre l’invention du cinématographe pour que le public s’en détourne progressivement. La dernière en date aura lieu à Bruxelles en 1958 : l’exhibition d’un village congolais, avec sa population, sera critiquée au point d’être définitivement abandonnée.

 

De tels spectacles renvoient aujourd’hui davantage à la monstruosité du regardant qu’à celle du regardé. Comment le continent des Lumières a-t-il pu, et avec quelle bonne conscience, fabriquer une véritable culture de la discrimination et du racisme ? On comprend mieux, en visitant l’exposition du quai Branly, le double enjeu de ces sinistres exhibitions. Sur le plan intérieur, au-delà du divertissement du public, il s’agissait, par la monstration d’une prétendue a-normalité, de renforcer la puissance normative du XIXème siècle. Sur le plan extérieur, en présentant l’Autre comme animal plus que comme être humain, l’Empire colonial légitimait ses prédations tout en exaltant ses vertus civilisatrices.

 

En cela, cette « invention du sauvage », en niant la spécificité des cultures autres, a été la première désinformation à échelle planétaire. Base de la pensée raciste, eugéniste et génocidaire, c’est cette tradition qui, prenant un tour nouveau, présentera aux parisiens, de septembre 1941 à janvier 1942, la tristement célèbre exposition « Le Juif et la France » ; prélude à la « solution finale ». La grande vogue des zoos humains a donné naissance à un nouvel imaginaire, fondé sur une erreur scientifique (la notion de race) et une faute morale (la discrimination). Ce clivage entre « eux » et « nous », que rien ne justifie, n’en reste pas moins l’outil toujours actuel des incurables promoteurs de « l’identité nationale ». Il est également à la base d'un certain voyeurisme touristique entiché de folklore et totalement aveuglé d'occidentalo-centrisme. Une nouvelle culture de l’Autre reste plus que jamais à inventer et à défendre. L’exposition du quai Branly tombe à point nommé pour nous le rappeler.

 

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