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29 août 2011 1 29 /08 /août /2011 19:57

 

 

"J'apporterai les savoirs fondamentaux et l'héritage des Grecs", déclara Soliman.

 

" J'entraînerai les esprits à l'agilité mouvante des concepts nomades", confia Yitzhzak.

 

"Quant à moi j'enseignerai le doute", dit Jean.

 

 

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24 août 2011 3 24 /08 /août /2011 07:47

2011-1602.JPG

 

fontaines qui résonnent à l'ombre des patios obscurs

soleil déhanché des arcades parmi les orangers

 

un simple filet d'eau

murmure la présence

constante inconstante

 

téméraire

instant

tremblé

 

 

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21 août 2011 7 21 /08 /août /2011 19:19

Inquiéter les routines

libérer l'inouï

déployant nos définitions sans cesse provisoires

jusqu'à ce que nous apparaisse

ce mot qui n'est pas un mot

cette pensée qui n'est pas une pensée

 

est-ce orgueil

ou dévouement

on ne sait pas

on ne sait pas

on marche

on y va

on verra bien

 

 

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28 avril 2011 4 28 /04 /avril /2011 11:06

(nouvelle version revue et corrigée)

 

La Machine à désordre

 

Gérard Larnac 

 

   

 

 

« Une avant-garde, c’est toujours l’arrière-garde de quelque chose », disait Godard. Warning, donc : « avant-garde », mot agaçant. Un acide trop doux au palais, une douceur trop acide. Plaisant à l’esprit il n’est qu’une charge désamorcée, une insuffisance ; rebutant il devient le symptôme consternant de nos immobilismes et de nos sénescences. Agaçant, je vous dis.

 

On ne s’étonnera donc pas de ce que la notion même d’avant-garde n’ait pas bonne presse en ce moment ; mais en fut-il jamais autrement ? Révolution ou réaction, l’époque hésite à lui dire son fait. Que pèse son pouvoir de subversion dans une société occidentale en proie au divertissement commercial et à l’inattention généralisée ? C’est ce que Ben Laden n’avait absolument pas prévu, sa limite, son échec, sa radicale incompétence à comprendre la puissance de la frivolité ambiante : l’attentat est certes devenu global, mais il est oublié aussitôt que mis à vu, dans ce « direct » permanent où le temps de la conscience a été égaré, où il est constamment remplacé par autre chose, puis autre chose, puis autre chose encore. L’esprit contemporain, allant ainsi de stupeur en stupeur, n’a plus de temps à accorder à l’objet même de sa stupéfaction.

 

Dès lors, que peut donc l’acte qui entend se poser en rupture ? Submergé tout aussitôt par ce flux incessant qui diffère perpétuellement son examen objectif, disperse notre attention. Ainsi se cimentent les nouveaux conformismes. Jamais autant d’artistes pompiers n’ont encombré nos rubriques « culture » : riches et célébrés, mais soumis aux diktats du retour sur investissement, à la fébrilité de la cotation, au frisson bêta de la petite gloriole médiatique acquise sans audace, à la standardisation sagement formatée aux dimensions rémunératrices d’un marché. Hors du normatif et du consensuel, point de salut. Nous qui parlions encore, il y a peu, « d’avant-garde », désignions par là un art d’émeutiers ; voici des rentiers ! Plus de place pour l’inouï, l’inédit, l’expérientiel. Le futur, on ne l’aime que répétitif, déjà vieux, déjà vu, sans risque, en charentaises. Mais cette complaisance à l’égard du banal, du balisé, attise par contrecoup un singulier désir de retrouver nos légèretés insurrectionnelles.

 

C’est le temps des avant-gardes à succès qui s’est achevé, mais non celui des avant-gardes. Qui investirait aujourd’hui le moindre kopek sur un cinéaste de la Nouvelle Vague ? Quel mécène produirait un Luis Bunuel ? Et Joyce ? On voit d’ici la gueule du directeur-de-collection-stagiaire rédigeant fielleusement sa lettre de refus avant de renvoyer Ulysse… C’est ce que nous avions tendance à oublier : les avant-gardes pour ne pas se trahir elles-mêmes se nourrissent d’invisibilité : elles ne poussent que dans les souterrains. Se refilent de la main à la main. Ce sont des mots de passe.

 

L’avant-garde, c’est ce désordre qui guette. Elle rend le temps à sa mobilité, à son imprévisibilité, à sa rumeur, à son bruit de fond, à son dehors ; ce en quoi elle dérange les places, les hiérarchies et les positions de domination, les certitudes, les conventions, les ronrons. La notion d’avant-garde est venue à nous pour corriger la modernité, et non pour être sa musique d’ascenseur. Une empêcheuse de tourner en rond. Un doute de principe.

 

Qu’est-ce, au fond, qu’être moderne (ou hypermoderne, comme on dit aujourd’hui) ? Etre moderne, c’est être capable d’avaler l’avenir, comme un trou noir, à l’intérieur de notre infernale machine à présent dont les media et l’industrie du divertissement sont devenus les rouages essentiels. Etre moderne, c’est se poser comme irréductible au temps, depuis un lieu faussement surplombant. C’est entrer dans un temps angélique, sans corps ni perte ni substance. Sans mort, bien sûr, et sans Histoire. Moderne est celui qui clôt, qui ferme la porte – qui veut avoir le dernier mot. Après moi le Déluge ! C’est la dilution du temps dans le pur immédiat. Culte de l’actuel. De l’actualité comme vérité ultime. Moderne est celui qui exerce symboliquement un empire totalisant sur la totalité du temps pour exalter l’emprise de sa présence. L’horizon d’attente de la modernité est en moi et non dans le futur d’un temps humain désormais impartageable. Le solipsisme, empire hystérisé du moi, infecte tout. Le monde, sous le nom de libéralisme, entend se présenter à nous comme une sorte de « jouir sans fin » passablement hallucinatoire et exclusivement orienté « marchandise ».

 

De son côté la fin programmée des ressources a fait un pacte avec l’immobilité pour asseoir plus encore la domination de la modernité sur le temps. Nous faisons refuge du présent pour échapper au compte à rebours sur lequel nous avons collectivement réglé nos montres. Voudrions-nous sortir de la pure instantanéité que nous ne le pourrions vraisemblablement pas.

 

L’avant-garde émet là son rire fondateur. Un rire vaste, radical. Et ouvre le confiné, précise des écarts, défait les isolements, remet en mouvement. Irrassasiée, toujours prête à en découdre au nom de l’ailleurs, de l’encore et de l’autrement.

 

Allons donc : affaires classées, les avant-gardes ? Et si leur éclipse actuelle était le signe, au contraire, d’une plus ample présence ? Et si, au fond, la posture avant-gardiste avait fini par contaminer l’ensemble du champ artistique, jusqu’à le constituer tout entier ? La disparition des avant-gardes serait alors l’indice de leur assimilation – de leur essentialisation. Les avant-gardes se poseraient alors comme la définition même du geste artistique contemporain. Et l’œuvre d’art véritable comme perpétuelle « machine à désordre ».

  

Retrouver un chaos disloquant.

 

L’avant-garde est un lieu de l’esprit. Une pure capacité de précipitation, au sens chimique : ce par quoi un monde advient, un monde qui n’aurait jamais été là sans elle. Garder l'art perpétuellement à venir et le désir de lui près de sa source vive : c’est ça, pour moi, la notion d’avant-garde.

 

 

 

 

 

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21 mars 2011 1 21 /03 /mars /2011 15:17

 

 

 

P1000450.JPG17 mars - sorti de l'aéroport de Newark Liberty sur les dix-huit heures. La journée a dû être belle sur les îles. Un ciel légèrement voilé, lumineux encore. Le traditionnel bouchon avant le Holland Tunnel pour entrer dans Manhattan mais presque tout de suite le Village. Ce soir New York fête la Saint-Patrick, le défilé a eu lieu un peu plus tôt dans l'après-midi. Dès la nuit tombée les bars débordent de jeunes gens rieurs, la chopine à la main, garçons et filles vêtus de t-shirt vert aux couleurs de l'Irlande, parfois en prime un petit chapeau en plastique vert bien ridicule sur la tête. Ici ce soir chacun se sent Irlandais et c'est à ça qu'on reconnaît une nation. Première marche main dans les poches, à humer l'air, histoire de me mêler à tout ça. D'abord l'inspection générale : le Back Fence, le Bitter End, le Terra Blues, le Blue Note, le Castaway - et The Little Lebowsky, endroit totalement voué au culte du Dude des frères Coen. Le Figaro Café où Kerouac faisait la plonge, remplacé par un fast-food mexicain et qui s'était déplacé un peu plus haut dans la rue, a cette fois totalement disparu du paysage. Envie d'entrer partout, alors je reste comme ça sans entrer nulle part - il fait bon sous une pleine lune à peine voilée - être seulement ce flâneur qui passe.

 

Dans l'avion, tandis que je m'empiffrais des derniers films que je n'avais pas encore eu l'occasion de visionner (Le Discours d'un Roi, puis le dernier Clint Eastwood, puis le dernier Tavernier, et même un bout du dernier Stephen Frears) ma voisine révisait sa conférence. Lu une citation de Mondrian disant en substance que l'idée doit être contenue dans la plastique, et non dans la représentation. Me plaît assez. Quelque chose pourra-t-il jamais nous rendre le monde derrière l'hypertrophie de la représentation, derrière l'hébétude de l'interprétation, l'hallucination du solipsisme ? Sans doute pas ; mais nous pouvons tenter le coup.

 

Les mauvaises nouvelles en provenance du Japon m'avaient à moitié arraché la cervelle. Je cherchais un peu d'air. Que l'esprit se charge d'un peu d'espace. Que le corps suive. Que tout ça se reprenne. Lecture : "La Carte de Guido", le dernier Kenneth White. A recommander. Et puis "Furie", de Salman Rushdie. Un peu Julia Kristeva aussi : "Etrangers à nous-mêmes". Et puis Butor : "Intervalle". Sur mon passage les Fallout Shelters, les abris anti-atomiques des années 60 (la crise de Cuba) dont les plaques caractéristiques sont toujours là par endroit, revêtent cette année une signification particulière et me glacent d'effroi. Mais la marche c'est un pas devant l'autre, pas vrai ?

 

 

P1000451.JPG 

18 mars - Lumière, chaleur sur Manhattan. Washington Square - Brooklyn à pied par le Williamsburg Bridge et son rafus de tempête - puis remonter jusqu'à Central Park (pour lire White), puis redescente sur Greenwich Village. Rentré fourbu dans cette petite chambre du Washington Square Hotel - une belle lumière orange, venue du dehors, accompagne un instant ma lecture.

 

Recentrer son attention. Redonner son poids à chaque être, chaque chose, chaque regard, chaque geste, chaque pensée... Entrer dans une précision radicale ; comme un arc qui se tend. C'est un peu comme ces lunettes que je porte maintenant, et qui sont aussi pour moi une façon de poser le cadre. Nous vivons si faussement, gauchis, désemparés, décentrés, jamais dans l'axe, perdus dans l'agitation, la médiocrité de nos intentions et la dispersion permanente de nos percepts. Nous nous retirons progressivement en nous-même, effacés, réduits à rien - ou au contraire aveuglément soumis à d'impérieuses et dérisoires ambitions. Relier. Rassembler ce qu'on a voulu disperser. Composer pas à pas notre petite cosmogonie personnelle pour se sentir à nouveau au contact et au centre - en chaman qui danse.

 

 

 

19 mars - Lumière toujours, mais vent arctique. Je suis le pérégrin d'une religion pas encore définie - et qui n'est pas une religion, bien sûr, mais une pensée illuminante venue du plus profond de cette triste condition qui consiste à vivre en pleine conscience et qui serait, sans elle, vouée tout entière à une forme ou une autre d'auto-destruction parfaitement consentie. Une lumière qui ne parvient qu'aux survivants ; les autres, les plastronnant, pas besoin de perdre son temps à vouloir leur expliquer, ils ne captent rien.

 

Un bol de nouilles chez un excellent Chinois de la 9ème Avenue, pour couper ma déambulation vers l'ancien marché de Chelsea. Pas de licence pour l'alcool mais la charmante serveuse m'assure qu'elle va me trouver quelque chose avec les mêmes yeux que si tout ça concernait ma bite et ses usages (encore) possibles. La ruse consiste à me servir de la bière dans un grand verre teint en jaune pour camoufler la nature du breuvage. Et surprise, aucune trace sur l'addition.  P1000460.JPG

 

Je dirai un jour tout ce que Washington Square représente pour moi. Manhattan tout entier semble déferler sur lui depuis les hauts de la 5ème Avenue, foule pressée, shopping de luxe, cours de la bourse, fêtes branchées, voitures de sport, coupes bon genre, buildings de verre - mais le parc, depuis son arc de triomphe blanc, met un terme aux vanités, stope net le rush et propose un plus vaste contexte. OK, assez déconné, semble-t-il dire. Il déploie en éventail ses hordes d'écureuils et de guitaristes, garde farouchement l'entrée de Greenwich Village, de son panthéon comme de son présent, indiquant par là-même qu'autre chose est possible, qu'on ne se laissera pas faire si facilement - après c'est Bleecker Street des clubs, après c'est Soho des galeries, c'est Little Italy des restaurants, le Chinatown des marchés... Petit monde fourmillant, trépidant de vie, de talent, de courage, d'embrouilles et de mafia mais aussi de grands sages anonymes qui se contentent d'être là, à faire comme si de rien n'était - "Une seule vérité mais tellement de chemins divers pour y parvenir".  Le Village, c'est New York moins la peste ; ou du moins le début de la rémission. 

 

Tronche de décalé horaire. Quand le corps ne sait plus distinguer entre le tôt et le tard, qu'il appartient au temps nu, ce temps hors des horloges, un temps qui n'est ni l'éternel des religions ni l'agenda mécanisés des pauvres hommes, mais simplement le temps, cette expérience à travers laquelle nous passons : bravement. Ce soir la pleine Lune est survoltée. Blancheur presque aveuglante. Vingt ans qu'elle n'est pas passé aussi près de la Terre. C'est le soir de la "SuperMoon", comme on dit ici - et je la contemple de tous mes yeux entre les tours en remontant Laguardia, riant sous cape, pareil à Han shan, ce vieux fou des montagnes.

 

 

 

 

(Copyright Gérard Larnac mars 2011)

 

Découverte à Soho : http://www.jamali.com/gallery
Jamali et l'expressionnisme mystique.

 

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16 mars 2011 3 16 /03 /mars /2011 19:50

 

 

 

Tout est nuit, tout fait lampe.

 

 

 

 

 

Copyright Gérard Larnac - 16 mars 2011.

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8 mars 2011 2 08 /03 /mars /2011 15:37

 

 

 

 

Tissée de non sens, la vie n'en est pas pour autant insignifiante.

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20 janvier 2011 4 20 /01 /janvier /2011 19:32

 

 

 

 

 

 

La Machine à désordre

 

Gérard Larnac [i]

 

 

   

 

 

 

« Une avant-garde, c’est toujours l’arrière-garde de quelque chose », disait Godard. Warning, donc : « avant-garde », mot agaçant. Un acide trop délicieux, un délice trop acide. Plaisant à l’esprit il n’est qu’une charge désamorcée, une insuffisance ; rebutant il devient le symptôme consternant de nos immobilismes et de nos sénescences. Agaçant, je vous dis.

 

On ne s’étonnera donc pas de ce que la notion même d’avant-garde n’ait pas bonne presse ; en fut-il jamais autrement ? Révolution ou réaction, l’époque hésite à lui dire son fait. Que pèse son pouvoir de subversion dans une société occidentale en proie au divertissement commercial et à l’inattention généralisée ? C’est ce que Ben Laden n’avait absolument pas prévu, sa limite, son échec, sa radicale incompétence : l’attentat est certes devenu global, mais il est oublié aussitôt que mis à vu, dans ce « direct » permanent où le temps de la conscience a été égaré, où il est constamment remplacé par autre chose, puis autre chose, puis autre chose encore. L’esprit contemporain, allant ainsi de stupeur en stupeur, n’a plus de temps à accorder à l’objet même de sa stupéfaction.

 

Dès lors, que peut donc l’acte qui se pose en rupture ? Submergé tout aussitôt par ce flux incessant qui diffère perpétuellement son examen objectif, disperse notre attention et rend purement décoratif ce que l’on appelait naguère « le libre arbitre ». Ainsi se cimentent les nouveaux conformismes. Jamais autant d’artistes pompiers n’ont encombré nos rubriques « culture » : riches et célébrés, mais soumis aux diktats du retour sur investissement, à la fébrilité de la cotation, au frisson bêta de la petite gloriole médiatique acquise sans audace, à la standardisation sagement formatée aux dimensions rémunératrices d’un marché. Hors du normatif et du consensuel, point de salut. Nous qui parlions encore, il y a peu, « d’avant-garde », voulions par là un art d’émeutiers ; voici des rentiers ! Plus de place pour l’inouï, l’inédit, l’expérientiel. Le futur, on ne l’aime que répétitif, déjà vieux, déjà vu, sans risque, confortable. Mais cette complaisance à l’égard du banal, du balisé, attise par contrecoup un singulier désir de retrouver nos légèretés insurrectionnelles.

 

L’avant-garde, c’est ce désordre qui guettait depuis les marges et qui fait soudain irruption. Elle rend le temps à sa mobilité, à son imprévisibilité, à sa rumeur, à son bruit de fond, à son dehors ; ce en quoi elle dérange les places, les hiérarchies et les positions de domination, les certitudes, les conventions. La notion d’avant-garde est venue à nous pour corriger la modernité.

 

Qu’est-ce, au fond, qu’être moderne (ou hypermoderne, comme on dit aujourd’hui) ? Etre moderne, c’est être capable d’avaler l’avenir, comme un trou noir, à l’intérieur de notre infernale machine à présent dont les media et l’industrie du divertissement sont devenus les rouages essentiels. Etre moderne, c’est se poser comme irréductible au temps, depuis un lieu faussement surplombant. C’est entrer dans un temps angélique, sans corps ni perte ni substance. Sans mort, bien sûr, et sans Histoire. Moderne est celui qui clôt, qui ferme la porte – qui veut avoir le dernier mot. Après moi le Déluge ! C’est la dilution du temps dans le pur immédiat. Culte de l’actuel. De l’actualité comme vérité ultime. Moderne est celui qui exerce symboliquement un empire totalisant sur la totalité du temps pour exalter l’emprise de sa présence. L’horizon d’attente de la modernité est en moi et non dans le futur d’un temps humain désormais impartageable. Le solipsisme, empire hystérisé du moi, infecte tout. Le monde, sous le nom de libéralisme, entend se présenter à nous comme une sorte de « jouir sans fin » passablement hallucinatoire et exclusivement orienté « marchandise ».

 

De son côté la fin programmée des ressources a fait un pacte avec l’immobilité pour asseoir plus encore la domination de la modernité sur le temps. Nous faisons refuge du présent pour échapper au compte à rebours sur lequel nous avons collectivement réglé nos montres. Voudrions-nous sortir de la pure instantanéité que nous ne le pourrions vraisemblablement pas.

 

L’avant-garde émet là son rire fondateur. Et ouvre le confiné, précise des écarts, défait les isolements, remet en mouvement. Toujours prête à en découdre au nom de l’ailleurs, de l’encore et de l’autrement.

 

Alors quoi : affaires classées, les avant-gardes ? Et si leur invisibilité actuelle était le signe, au contraire, d’un plus ample triomphe ? Et si, au fond, la posture avant-gardiste avait fini par contaminer l’ensemble du champ artistique, jusqu’à le constituer tout entier ? La disparition des avant-gardes serait alors l’indice de leur assimilation – de leur essentialisation. Les avant-gardes se poseraient alors comme définition même du geste artistique contemporain. Et l’œuvre d’art véritable comme perpétuelle « machine à désordre ».

 

Echapper à la pose de l’auteur et de ses différents «points de vue ». Sortir du mirage conventionnel de la subjectivité. Retrouver un chaos disloquant. Telles sont les tâches que j’assigne à ma pratique de l’écriture : ma petite avant-garde à moi. Prônant une sorte de ghost writing que je pourrais définir ainsi, s’il venait à quelqu’un l’idée saugrenue de me le demander : parler en dehors du temps de l’homme, parler cette langue anonyme de l’après qui parle au nom des choses et des êtres sans voix ; une langue qui nous vient de plus loin que nous, hors de nos mémoires, de nos biographies, du cadre étroits de nos contingences personnelles, de nos enfantillages psychologiques, et qui reste sans cesse à construire. C’est une telle langue que je laisse courir dans mes romans, comme lieu de rencontre, comme voyage en altérité qui passe tout récit de voyage possible. J’appelle aussi cela, pour rire, du post-travel writing. Objet : sortir de l’héritage colonial de la « littérature de voyage » et de l’ethnocentrisme occidental, s’ouvrir à d’autres formes, d’autres diversités – convoquant des Michel Butor, des Edouard Glissant ou des Kenneth White. Utilisant sous forme de fausses citations le pastiche, l’évocation, la reconstruction  (de poésie japonaise, de mythes amazoniens, de chants indiens, de formules de chaman, de « style beatnik »… et même de chansons de Bob Dylan !), l’hommage, le collage, le fragment –  glisser mon style sous le style de l’autre afin de produire une langue errante, une pensée vacillée, jamais fixées. Pas un récit de voyage, donc : un texte voyageur. Tout tient à l’errance, aux frottements, à un certain flottement de réel que permet le voyage, à des moments d’heureuses convergences. Ghost writing : langue altérisée, créolisée, encontrante, hybride, nomade, où le « je » de l’auteur s’efface autant que faire se peut afin de devenir cette part du monde qui laisse entendre à travers lui l’infini bruissement de l’ouvert, du foisonnant et du multiple. Je ne suis que le traducteur des vents. Leur nègre solitaire et un brin obstiné.

 

Il ne s’agit bien évidemment pas, à travers cette expérience scripturale, de « faire l’Indien » ni de « faire le Japonais » ; mais, ainsi que l’avait vu Gilles Deleuze, de ménager une rencontre avec un « devenir-Indien », un « devenir Japonais ».  Non pas devenir l’ours brun, mais, par ce dehors que sa présence inspire, danser avec lui : voir l’homme, voir le monde par ses yeux. Se mettre en lien avec cette étrangeté même et voir ce qu’elle a à nous dire. Et comment ça vous tire au-dehors.  

 

L’avant-garde est un lieu de l’esprit. Une pure capacité de précipitation, au sens chimique : ce par quoi un monde advient, un monde qui n’aurait jamais été là sans elle. Garder la littérature perpétuellement à venir et le désir d’elle près de sa source vive : c’est ça, pour moi, la notion d’avant-garde.



[i] Dernier ouvrage paru : « Le Voyageur français », roman (Ed.de l’Aube, 2009). Blog littéraire : http://poetaille.over-blog.fr

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10 janvier 2011 1 10 /01 /janvier /2011 23:20

 

 

Comment pourrions-nous habiter le monde si nous ne laissions d'abord le monde nous habiter ?

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6 janvier 2011 4 06 /01 /janvier /2011 10:36

 

 

 

Philosopher ne sert pas à effacer nos tristesses, mais seulement à les approfondir - jusqu'à en approcher les clartés.

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