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4 septembre 2007 2 04 /09 /septembre /2007 07:25

J’aime sortir d’un livre brûlé, titubant, ébloui. Que les phrases résonnent longuement en moi par des chemins que je ne me connaissais pas. Que les personnages taraudent ma mémoire et s’y fassent leur place. Cette impression d’avoir traversé un monde. D’avoir entendu l’inouï. D’avoir assisté à la naissance de quelque chose de complètement nouveau. D’en avoir été, lecteur, pleinement le complice. Et doucement transformé.

« Extrêmement fort et incroyablement près », de Jonathan Safran Foer (Ed.de l’Olivier, et dont la version poche vient de sortir en Points-Seuil) est un de ces ouvrages qui posent par leur existence un avant et un après. Un feu d’artifice de trouvailles, salué par un grand maître du genre, Salman Rushdie lui-même. Se dire qu’un tel brio, lié à une telle audace formelle, n’est plus trop possible de ce côté-ci de l’Atlantique. On y préfère les scandales littéraires des mémères bien marketées (lire ici « Drame de l’autofiction ») à la confrontation de l'écriture avec l'art et le réel.

Que se passe-t-il donc dans le texte de Safran Foer que l’on ne trouve pas, par exemple, ni dans les laborieux enfilages de perles de la nouvelle collection de François Bon au Seuil (« Déplacements »), ni dans le maniérisme minimaliste de tous les « Elle. Est. Arrivée », ni dans le ronron niaiseux et ballonné de l’autofiction, ni dans la forme réactionnaire du roman pompier… (liste non close, à compléter) ?

Pourquoi Safran Foer et pas les autres ?  Parce que d’abord une forme. Qui s’impose par son évidence. Une forme capable de montrer Manhattan au matin du 12 septembre, cette planétaire gueule de bois, l’impossibilité criante qu’il y ait jamais un lendemain à « ça », cette absence de mots dont les images en boucle étaient censées combler le vide. Un récit capable de convoquer aussi d’autres inutiles massacres : Dresde, Hiroshima. Vous voilà dans le temps des événements qui ont cassé le XX ème siècle par le milieu. Comme dans celui qui inaugure le siècle suivant. Dans la violence que l’homme déchaîne sur l’homme. Parce que les personnages : un enfant surdoué de 9 ans, le souvenir de son père tué dans l’attentat de World Trade Center, les solidarités tissées par la douleur avec des inconnus, comme à chaque fois qu’au fin fond de l’horreur se refait le cercle humain – ce mince filet d’air qui résiste à l’écroulement de tout…Parce que les changements de points de vue : l’enfant, sa grand-mère attentive, son grand-père jamais vu, narrateurs tour à tour. Parce que la modernité immédiate, éclatée, baroque. Parce que la formidable aventure des mots, écrits sur des enveloppes vides, sur des murs, sur des lettres qu’on n’envoie pas, sur une vitre, tatoués à même la peau, murmurés sur des répondeurs au moment de mourir... Parce que la formidable langue de Safran Foer, à laquelle il mêle des photos, des mots rayés, des pages brouillées, des pages codées, des blancs, des erreurs typographiques. Parce que le scénario est basé sur la recherche d’une clef qui n’ouvre rien de spécial mais dont la quête jalonne les deux années d’un deuil, celui du 11 septembre – c'est-à-dire ouvre aux personnages la possibilité de vivre un "après".

Mais au fond tout cela ne serait rien, s’il n’y avait en plus la formidable capacité de Safran Foer à parler de l’homme. Car ce prodige formel, cet impeccable exploit narratif, retenu, certes, mais au plus près des douleurs, porte aussi la trace d’un cœur gros comme ça. Rien de desséché, de jeux de forme pour la forme. Au contraire : une forme au service d’une émotion humaine qui, en même temps qu’elle invente un champ dans lequel déborder, exige que ce champ fasse sens et soit aussi celui d’un ressaisissement.

« L’enfant perdu pleure, pleure mais court après les lucioles », dit un haïku que j’aime bien. Le roman de Jonathan Safran Foer a libéré ses lucioles.

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31 août 2007 5 31 /08 /août /2007 14:25

Les « rentrées littéraires », c’est comme l’amour à date fixe : ça manque de fantaisie. Mais cet automne 2007, par chance, tient son scandale. C’est du bien gros, du lourd. De quoi agiter toutes les têtes plates du microcosme. A votre gauche Camille Laurens. A votre droite Marie Darrieussecq. Rappel des faits : Darrieussecq vint à la publication (« Truisme ») par POL, qu’elle choisit en son temps parce qu’il était l’éditeur de « Philippe », récit autobiographique de la mort d’un enfant, écrit par Camille Laurens. Or son dernier livre, « Tom est mort », pure fiction, ne constituerait qu’un remix à peine déguisé du fameux « Philippe ». En moins bien écrit. D’où colère et désarroi de Camille Laurens (Voir La Revue Littéraire http://www.leoscheer.com/spip.php?article675 ). D’autant que Darrieussecq semble coutumière du fait (On se souvient que l’auteure-charcutière-dans-le-cochon-tout-est-bon qui se prend pour Kafka avait déjà connu semblables démêlés avec Marie NDiaye il y a quelques années).

Si certaines sont décidément prêtes à tout pour aller recueillir les lauriers saumâtres des « rentrées littéraires », quitte à aller squatter une douleur qui ne leur appartient pas, d’autres, façon Lanzmann dès qu’il s’agit de la Shoah, imposent à tous l’unicité de leur douleur, niant à l’art narratif sa dimension de pure représentation. Il y aurait alors un interdit. Seul aurait l’autorité sacrée du porte-plume celui ou celle par qui, ou auprès de qui, cette souffrance a été incarnée. Le témoignage de première main s’imposerait alors systématiquement à l’art littéraire ; ce qui n’est pas recevable.

S’il y avait la moindre nécessité à ces « œuvres », entre épanchement réel et épanchement fictionnel, la part des douleurs biographiques y serait amplement dépassée. Ce crépage de chignon entre écrivaines, avec faux livre et vraie sépulture, constitue simplement la preuve du contraire. Ces livres n’existent que pour faire oublier qu’ils sont là à la place d’autres formes de livres. Ils marquent de leurs piles bancales le seuil de quelque chose à venir et qui est attendu.

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25 août 2007 6 25 /08 /août /2007 21:31

Quatre semaines de voyage, et enfin une librairie en vue ! Survol des tables de la "rentrée littéraire". Chez Fayard, ils ont même été jusqu'à baptiser une nouvelle collection "rentrée littéraire", des fois qu'on n'ait pas compris. J'ouvre, feuillette, au hasard. Première impression : beaucoup d'efforts, trop visibles, pour "faire littéraire" à la mode du jour. Minimalisme poseur : "Elle. Est. Arrivée". Les récits ? En bonne part les faits divers les plus audimatés des six derniers mois. Bon. Rien de nouveau sous le soleil. Je sors de la librairie avec sous le bras "Gilgamesh" (dans une nouvelle traduction parue l'hiver dernier chez Léo Scheer), le premier des livres (1400 av. J.-C).

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11 juillet 2007 3 11 /07 /juillet /2007 16:38

On ne choisit pas son nom, il est ce mot qui vous marque avant que vous ayez vous même pris possession de votre propre langue. Le mien en remet une couche dans le grotesque, comme un masque de fantaisie. Pourtant, dans la vieille langue d'Oc d'où il est originaire, mon vieux nom ridicule signifie : "La montagne au-dessus du village". C'est au fond ainsi que j'ai toujours vécu : tourné vers cette nature qui nous dépasse et entraîne notre esprit vers un air plus vif.

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10 juillet 2007 2 10 /07 /juillet /2007 17:26

Identité nationale, versus mondialisation. Deux versants d'une même névrose obsessionnelle. Répondre à une définition précise, unilatérale, sécurisé, autiste, figée une fois pour toute ; et l'imposer aux autres. Au milieu de la tempête qui fait rage, quelques repères. "Il y a des moments de l'histoire où les identités culturelles reprennent leur souffle", dit Edouard Glissant (revue Cassandre N°70 de cet été) . Le mot "mondialité", que je lis sous sa plume, est un soleil sur ce régime de pluies intermittentes entre deux averses qui nous tient lieu de pensée. Un "universel nomade", porteur de ce genre de vérités qui ne prennent toute leur valeur que très transitoirement, en fonction des autres vérités qu'elles rencontrent sur leur chemin. Une complexité qui soit aussi une complicité. Laisser à la culture sa capacité à se créoliser, à s'entrelasser à d'autres trames. A faire rhizome, dirait Deleuze dont le mot d'ordre était : "Ne pas faire point. Faire ligne". Nous, ici, premières générations de la rencontre planétaire, de l'émigration mondialisée, assistons à une mutation à laquelle nous peinons encore à donner un sens. Nos enfants ne seront ni blancs ni noirs ni jaunes, ni juifs ni goys ni arabes ni...ni..., mais tout cela en même temps. Les pensées qui s'accrochent encore à ces désiroires repères appartiennent déjà au passé - et sont d'autant plus virulentes aujourd'hui qu'elles se savent dépassées. "Il nous faut vivre dans ce chaos-monde avec de nouvelles manières de le sentir", dit encore Glissant.  "Mondialité". L'idée d'une vérité intangible, mais qui se rend intangible précisément par sa capacité à se nouer au divers. Une pensée du global qui se nourrirait au feu de sa diversité interne. Un de ces mots nouveaux par lesquels sortir de l'ornière identitaire. Allons respirer cet air-là.

A visiter :

http://www.tout-monde.com
Edouard Glissant

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4 juillet 2007 3 04 /07 /juillet /2007 21:38

Extraordinaire Guillaume Vigneault dont je lis "Chercher le vent" (Point-Seuil). Passage sur les mandala tibétains: "Ils se mettent à cinq, ils en ont pour des semaines, et quand ils ont fini, ils ne prennent pas de photo, rien, ils le balaient aussitôt, ou alors ils dispersent le sable dans les  eaux d'une rivière... En le détruisant, ils s'empêchent de ressentir de la fierté".

Auteur, entraîne-toi donc au mandala au lieu d'aller encombrer nos amis libraires.

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28 juin 2007 4 28 /06 /juin /2007 16:30
« Universel ». Trop de « valeurs » dans ce mot-là, trop de gras. De prétention hégémonique. L'universel ? Mais c'est l'impérialisme du même, un psittacisme de riches - lire Kant et sa Géographie ! Non, ce qu'il faudrait, c'est ajouter patiemment les choses, une étrangeté après l'autre, passer à travers chacune des singularités. Ce qui en serait la somme, oui, peut-être, le nommer l'universel. Ne pas parler de l'Homme avant de pouvoir nommer chaque habitant de cette planète par son prénom.
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26 mai 2007 6 26 /05 /mai /2007 23:12

Lu cette phrase de Glenn Gould : " L’objet de l’art n’est pas le déclenchement d’une sécrétion momentanée d’adrénaline, mais la construction, sur la durée, sur une vie entière, d’un état d’émerveillement et de sérénité ".

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19 mai 2007 6 19 /05 /mai /2007 20:35

Vu Zodiac, l'envoûtant thriller de David Fincher (Seven, Fight Club...) sorti cette semaine. Une plongée dans une recherche obsessionnelle de la vérité, qui va ronger un à un tous les protagonistes. L'évidence s'impose : tout artiste est à l'image de ces hommes qui vont passer leur vie à recueillir des indices, aussi ténus soient-ils, à échaffauder des hypothèses, à dépouiller des tonnes de documents - jusqu'à cotoyer l'abîme, jusqu'à se perdre eux-mêmes. L'artiste est celui qui compose avec ses obsessions (en tout cas ses questions informulées) pour lui donner une forme objective, à seule fin de pouvoir mieux les contrôler, les supporter. L'enquête policière est avant tout un combat avec l'ombre, avec la dispersion infinie des faits, avec le désir dévorant d'y voir clair, mais aussi les égarements de l'esprit. Quête plus qu'enquête, elle est le paradigme de toute création. Toute cette histoire, au fond, aboutit à un livre (celui dont  est tiré le film). A la fin le meurtrier, s'il est connu, n'est pas puni. Bref la révélation de la vérité ne fait rien d'autre qu'étreindre un vide. Seule a existé cette approche obstinée. Le mystère n'existe que d'avoir été nommé. L'architectonique obsessionnelle de l'oeuvre ne renvoit qu'au vide autour duquel elle se constitue. L'artiste, simplement, la batissant pierre à pierre, y aura parcouru son chemin. Y objectivant ses angoisses. Leur donnant forme. Celles-ci en auront-elles pour autant trouvé leur terme ? La traque du Zodiac est une traque sans fin.

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17 mai 2007 4 17 /05 /mai /2007 09:36

Le roman industriel. La domination sans partage du style pompier dans la narration actuelle. Couper cours. Mes dernières lectures en signes de piste : La vie secrète de e.robert padleton, de Michael Collins chez Bourgois (pour la description des paysages froids de neige sale et de ciel bas, pour cette fiction au service d'une vraie quête stylistique); Wittgenstein et les limites du langage,  de Pierre Hadot (chez Vrin, facile à lire et indispensable) ; Le Silence des Livres, de George Steiner (une pépite) ; Waiting Period, de Hubert Selby Jr. (10/18); Une carte n'est pas le territoire, d'Alfred Korzybski (aux excellentes éditions de L'Eclat); Les villes invisibles, d'Italo Calvino (Point-Seuil, lu après avoir vu la belle expo de la station Luxembourg). Relecture éblouie : L'Amant de Lady Chatterley, de DH.Lawrence (à relire à l'aune de l'effacement progressif de la nature, merci Madame Ferran). Abandonnés sans remords : Ecstasy de Murakami, et Démolir Nizar de Chevillard, pour les mêmes raisons : ce sentiment que l'auteur s'y pastiche lui-même.  

En cours : Le Tunnel, de William H.Gass. La vague certitude qu'un tel ovni ne peut décidément pas être écrit par un écrivain français. Qu'il fallait l'assurance d'un succès déjà éprouvé ailleurs pour oser publier ça (superbe traduction de Caro). Mais excellente surprise de voir que de tels textes peuvent continuer à circuler, en dépit du tsunami réactionnaire sur les Lettres françaises.  

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