Certains n’affichent ostentatoirement une haute idée de la littérature que pour mieux exacerber l’opinion flatteuse qu’ils se font d’eux-mêmes et s’exciter après ça comme chien après sa queue. Celui-là, comme épate gogo, n’est pas mal dans le genre. Du haut d’une œuvre certes géniale mais encore à venir, le voilà qui quitte l’objet somme toute banal du débat auquel nous participons lui et moi sur le web pour exploser en vitupérations contre mon blog. Un blog qui, dit-il à sa façon sobre et nuancée, « fait pitié » ; comment « oser » publier prose aussi indigente, etc. ? L’indignation surjouée du plaisant m’aide à réfléchir. Pousse à préciser. Comment le remercier de rompre ainsi l’attachement que j’aurais pu porter à mon propre projet ? Car après tout, qu’est-ce qu’un blog d’auteur ? Fait-il littérature ? Non, bien entendu. Tel n’est pas son objet. Des trois livres que je travaille actuellement on ne distingue rien ici. Ici c’est le chaudron. Qui peut dire ce qui peut en sortir ? Franchement, je ne sais. Le blog d’un auteur, ce sont ses notes dans les marges, ses phrases soulignées, ses fragments jetés à la volée, ses essais de couleurs, ses coups de gueule et ses envies de faire la fête. Les pages déchirées de son agenda. Son « warm up », brouillon et stimulant. Un blog est un atelier ; une infime, infime partie d’un atelier, peut-être la plus expérimentale, celle en tout cas où le visiteur est non seulement le bienvenu mais où il est lui-même, par sa seule présence, un élément actif du processus de création. De sorte que le blog est avant tout une coproduction ; il ne faudrait pas l’oublier. En cela il est bien différent de la solitude extrême de l’écriture d’un livre. Mais la fonction « atelier » est bien là elle aussi, avec la nudité des outils laissés dans les coins, l’accumulation de matériaux bruts et des ébauches mal dégrossies. On assiste à un moment qui se condense, où rien de sérieux n’a lieu encore, mais où des éléments disparates s’inscrivent peu à peu dans le champ. Pénétrer dans ce silence d’atelier, c’est peut-être ça aussi l’invite véritable d’un blog. Une sorte de coup de rouge partagé avec le visiteur, là, vite fait, sur l’établi. On ne voit rien, pas d’œuvre, peu d’indications. Mais dans cette attente, dans cette rencontre-là quelque chose se partage. L’avant-livre. Cet avant d’un ouvrage qui ne verra peut-être même pas le jour. C’est dans cette indistinction-là que se passent les choses, dans cette concentration aimante, partageuse. Un moment que l’on oublie parfois quand on passe dix ans à écrire un livre, et qu’ainsi, à travers le blog , on se réapproprie. Rien de bien exaltant sans doute. Nulle littérature. On fait claquer sa langue. Juste une histoire d’hommes.