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5 juin 2008 4 05 /06 /juin /2008 17:42

L’écriture était belle, élégante, bien que petite, serrée. Une écriture de poète habitué à prendre des notes à la volée sur des supports improbables. Ses bristols frappés de trois lettres mythiques (N.R.F) n’arrivaient jamais, même en cas de refus, sans un mot d’encouragement. Et puis un jour cette voix, au téléphone : impossible d’en saisir un seul mot, j’avais beau tendre l’oreille, il parlait comme on se parle à soi-même. Un murmure, un filet - à défaut d’en comprendre le sens j’en suivais la rythmique. On finirait bien par se retrouver quelque part, Jacques Réda et moi.

 

Ce furent là, grâce au jazzistique poète, alors rédacteur en chef de la Nouvelle Revue Française, mes premières publications réellement littéraires. D’abord un texte d’hommage à Jack Kerouac dans la rubrique « Reconnaissance », fruits de mes tribulations à Lowell, New York et San Francisco - puis mes récits de bourlingues – mes dérives intempestives, mes jetées en dehors de tout repère situable. Lors d’un salon du Livre une publicité pour la NRF parut avec une accroche du style : « Les nouveaux talents Gallimard ». Comme mon nom figurait au sommaire du dernier numéro de la revue et qu’on ne se posa pas plus de question que cela, au service marketing, je fus embarqué dans le lot. Pendant les mois qui suivirent on me vit partout en vitrine sur la PLV Gallimard, en compagnie d’écrivains autrement plus sérieux. Comme dans le jeu du « cherchez l’intrus », le service manuscrit  finit par remettre de l’ordre en éconduisant gentiment, mais avec une constance assez désarmante, toutes mes offres de service ; je fus donc un « nouveau talent Gallimard » sans jamais avoir été édité par la vénérable maison. Mes histoires de routes n’étaient pas de saison.

 

Un beau jour, à l’invitation de Jacques Réda, je pénétrai avec l’égard des dévots dans le saint des saints. 5, rue Sébastien-Bottin. Un nom pour moi à ce point mythique que je croyais qu’il n’existait que dans les livres : Gallimard. Dans le hall grand style, sous le portrait des illustres, je demandai mon chemin à de souriantes bonnes fées qui trônaient derrière une banque d’accueil plus large qu’une piste de bowling. On me dit que le poète m’attendait quelque part dans les étages, dans le petit bureau qu’on lui avait attribué, loin, sous les combles. Il fallait prendre une sorte d’escalier de service qui colimaçonnait interminablement dans les étages ; et plus on s’élevait, plus le bâtiment changeait d’apparence, passant du faste bien ordonné du monde des affaires à un dédale peu clair, embrouillé, avec des pièces qui se mettaient soudain à rétrécir tout en prenant la forme du toit. Du virevoltage plein d’entrain des jolies secrétaires en tailleur on passait à un univers infiniment plus silencieux – odeur de poutres, de vieux papiers, de soleil tapant sur les ardoises. Ici pas d’ambiance « brainstorming », pas de salle de réunion. Mais la présence des poètes à la tâche dans leur chambre de bonne. Montant dans les étages je traversai le siècle. Ici restaient l’âme vive, l’acharnement silencieux et austère, la puissance du rêve, l’exigence de l’esprit. Ici pouvait s’entendre le cri de la plume au travail dans les recoins obscurs. De la lumière à la pénombre ; du livre à l’écriture. J’étais comme l’enfant qui monte au grenier, le cœur battant. Ce monde-là existait donc.

 

« Je vous annonce que j’ai fait valoir mes droits à la retraite », me dit Jacques Réda de sa voix toujours aussi murmurante, mais que la pénombre me rendait plus audible qu'à l'accoutumée. Le poète avait présenté mon recueil de récits et l’avait défendu devant le comité de lecture, on ne l’avait pas écouté, on m’avait pris pour un routard un peu attardé, l’invendable de service, provincial qui plus est, sans carnet d’adresses - le livre ne serait pas publié et il en gardait pour moi une certaine amertume. A quoi sert une revue, si ce n’est pour trouver de nouveaux auteurs, dit-il encore. Dans le bureau d’à côté il me présenta Dominique Aury, depuis 1954 secrétaire de rédaction de la NRF – et auteur d’Histoire d’O, le monument de la littérature érotique, lettre d’amour à Jean Paulhan. Bonjour madame.

 

Mes textes resteraient donc furieusement inédits chez Gallimard. Je repris mon escalier en colimaçon. En bas cette rumeur studieuse, radieuse, cette usine à succès où s’inventent gloire, fortune et renommée. Un dernier coup d’œil vers l'obscurité des étages, heureux quand même, porté par cette unique certitude : sous les toits de Paris veillent les poètes.

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commentaires

S
Jaime bien cette mise en avant poétique des poètes.<br /> <br /> A la porte du temps <br /> <br /> Lorsque ce moment inoubliable sera venu<br /> J’aurai les yeux clos et fixerai le ciel<br /> Ni toit ni plafond blanc d’un hôpital inconnu<br /> Ne pourront m’empêcher de voir ce bel arc-en-ciel<br /> <br /> Les saisons me fuiront sous la coupole du deuil <br /> Et le soleil brillera encore sur mes dernières envies<br /> Puis en fermant la porte du temps l’hiver à son seuil<br /> M’ouvrira tout grand ses bras et me glacera la vie<br /> <br /> La nuit sans frasque et sous la dominance lunaire<br /> M’emportera aux confins cubiques des aires<br /> C’est là que les étoiles filantes se brisent et s’enterrent<br /> <br /> Je l’imagine sans peur du lendemain cette halte brève<br /> Ce moment où il faudra que je parte sans un rêve<br /> Mais je soupire et embrasse soudain mes printemps<br /> <br /> Ici la couleur de la nature est l’or palpitant <br /> Elle bat mes souvenirs et rien ne m’est menaçant<br /> Mais voilà partir je me dois partir mais où ça Père ?<br /> <br /> Quelle mer quel océan quelle rivière coule là-bas<br /> Ô quel sourire quel avenir me remettra plus bas <br /> Quel vent m’apporte la mélancolie du moment.<br /> <br /> Le 12 novembre 2006 <br /> Giuseppe
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