Je me suis toujours dit que l’œuvre en cours de François Bon entrait de biais dans ma propre galaxie, en douce, sans trop savoir comment elle s'y prenait. Seulement ça : à un moment elle est là. Qui requiert toute l’attention. Totale complicité avec Mécanique, pour casser la machinerie émotive ritualisée. Avec Paysage Fer, le livre dont au fond on a tous rêvé sans oser y aller franco : succession de tous les détails vus de la fenêtre du Paris-Reims, récit d’un catalogue, d’une liste qui soudain s’anime et prend vie – au plus près du flot de réalité lorsqu’elle se fait conscience des choses. Avec juste la vie qui se faufile comme elle peut dans les interstices, les marges. Phrasé tout en retenu, comme dit d’une voix blanche. Totale amitié pour Deawoo, Rolling Stones, Dylan. Mais avec Impatience (Minuit, 1998), plus. Beaucoup plus. On pourrait dire Pérec, on pourrait dire Koltès, mais non, c’est autre chose encore. Qui n’avait pas vraiment été fait avant. La recherche de cette phrase plus exigeante, ni récit ni théâtre ni poème et tout ça à la fois, conforme à la dynamique de ce temps, à ces bâtis incompréhensibles, toute cette illisibilité qui fait désormais le plus (et le moins) clair de notre quotidien parce qu’elle échappe aux catégories de l’œil, de la sensation, de la conscience humaine. Ce point de bascule où la raison produit une absolue irrationalité : la ville hypermoderne. Voilà une écriture qui devient une expérience en soi. Sans l’aspect clinique du laboratoire. Sans l’inanité des écrivains du minuscule. On capte des bouts, ça et là. On voit comment ça tient. Ou ne tient pas. Comment cet inlassable rapetassage, quasi maniaque, fait récit. Comment tout ça finit, quand même, par faire sens. Comment ça fait route. Ce qui compte : ce « déplacement ». Impatience est un de ces grands textes où se glisse, à l’improviste, tout ce que ce temps a à nous dire. Ils ne sont pas si nombreux ceux qui réussissent de tels livres. Urgent. Lire François Bon.