Assisté en octobre 2005 à la projection de presse, en avant-première de la sortie du film DVD de Martin Scorsese : No Direction Home – Bob
Dylan.
L’humour zen/juif de Bob, son art du mentir vrai devant la caméra, en plan très serré. Qui joue, qui invente, une fois encore, et au bout de combien de millier
d’autres fois, des réponses à des questions impossibles. Histoire que le monde dorme mieux. Qu’il ait un début d’explication. Qu’il se sente en paix avec lui-même. Avec ses tricheries. Ses amères
victoires. Tout ça me fait penser à « Pat Garrett et Billy le Kid », le film de Sam Peckinpah de 1973 que je viens tout juste de revoir : « Qui es-tu ? », demande le
Kid à l’étrange personnage qu’y incarne Bob Dylan. « C’est une bonne question », répond celui-ci, du tac au tac, le regard en biais.
« Quel est ton nom ? ». « Alias ». « Alias qui ? ». « Juste Alias ». Ne cherchez pas. On n’a jamais fait mieux depuis.
« Nous voulons le vrai Bob Dylan », hurlent ses fans anglais lorsque celui-ci se produit pour la première fois avec l’excellent blues band de Mike
Bloomfield. Le vrai Dylan… Avec son physique de brave gosse pas assez sauvage ; ni Brando, ni James Dean. Bob, c’est juste un musicien, ni pire ni meilleur, un type comme il y en a tant au
Village ; mais un type qui un beau jour a eu l’idée bizarre d’inventer le besoin planétaire de Dylan. Comme ça : histoire de voir ce qui pourrait bien en sortir.
Pas d’identité. Ou alors une identité nomade. Opportuniste : partout chez elle. Nulle part chez elle. Mais quel homme coïncide-t-il vraiment avec
lui-même ? Celui qui s’entraîne toujours plus loin sur la route, peut-être. Celui qui jamais ne stationne mais brûle le dur et s’envoie sans cesse au diable et continue, continue,
continue.
Bob seul à retourner les questions vers le vide d’où elles surgissent : no direction, pas de réponse. Ou alors, si tu écoutes attentivement, le vent peut-être.
Mais il y a beau temps qu’aucun journaliste parisien n’écoute plus le vent. Des faits. Des poncifs rutilants. Des petites rafales de consensus. La petite pantomime de la rationalité
satisfaite.
Ca s’ennuie quand même vite, un journaliste parisien. Pensez : plus de trois heures de projection ! Derrière moi une vieille taupe à grand tirage soupire à
fendre l’âme quand Joan, dans sa cuisine, prend la guitare pour nous pousser « Love is just a four letters word »...
L’inattention. La dispersion : voilà le mal qui nous égare. Bob, lui, est concentré sur son souffle, comme le chamane, précise Allen Ginsberg. Il sait. Il
envoie. On ne peut vivre réellement qu’à ce niveau là. Quand ça déborde. Dans cette effusion là.
No direction. No direction. Juste ce déluge. Et la peur d’être sauvé.
Outtake 1 (rajout du 30 mai) :
Pas vu Bob cette année car pas envie d'entendre ses chansonnettes pour club du 3e âge, mais à Lille l'an passé. 5 ans sans le voir. Je me suis dit qu'il était foutu de disparaître sans prévenir,
urgence alors de l'entendre encore, me suis tapé la route, déçu encore par son côté raide, mais l'acceptant, Bob c'est comme ça, à prendre ou à laisser, oubliée ma place en tribune je suis devant
la scène avec les mômes, mais les plus excités se calment vite, réfrigérés par l'ambiance à couper au couteau, Bob avec son espèce de Bontempi à moitié débranché (on lui laisse juste pour lui
faire plaisir ou quoi), sans guitare (mais du coup moins de fausses notes aussi), les musiciens au look mafieux tendus jusqu'à la brisure, coups d'oeil affolés, lui froid, pas un regard, rien,
All along the watchtower comme il ne l'a jamais chanté, solo guitares anémiques pour ne pas lui piquer la vedette (alors que ses guitareux sont des monstres), "ladies and gentlemen" pour
présenter son groupe, cette impression de suicide lent qu'est devenu le Never Ending Tour, succession effrénée de dates de concert, pratiquement un par soir, aller au bout de cet épuisement, 12
ou 13 chansons, jamais plus, toujours les mêmes à deux variantes près, cette voix au maximum de ce qu'elle a à donner, jamais elle n'a atteint cette gravité lasse, cette maturité désabusée,
voilà, c'est pour ça que j'aimerai toujours Dylan, cette lucidité de forcené, cette radicalité sans espérance, cette façon de ne pas être là (écouter "I'm not there, I'm gone" sur les boots des
Basement Tapes), un seul aussi loin c'est Miles, la même note tue au creux des oreilles, l'éloignement sans recours.
Liens sacrés :
Ressources, MP3, Bootlegs : http://www.expectingrain.com/
Traduction française des textes de
Dylan http://www.bobdylan-fr.com/