Premier roman. Si vieux premier roman. Moment de clôturer ce dernier travail de relecture. Tout ça a été long, trop d’années enchâssées, là. 1986-2008. Ne compte pas ; de toute façon c’est trop. Pour si mince résultat. Mais bon ; ça a pris son temps. C’est venu de loin. L’écriture est parvenue au stade exact qu’elle a souhaité pour elle-même. Je n’ai pas eu mon mot à dire. Je ne la juge pas. Pour le lecteur, ça, je ne sais pas. Existe-t-il vraiment ? Vingt ans, mon regard enfiévré de rôdeur des bois, confondu dans le temps de l’écriture, de la rature, de la réécriture, de l’indifférence – ce regard réitéré, à chacun de mes passages au Japon – combien, je ne sais même plus. Hakone, ce lieu le plus lointain, le plus solitaire aussi, où je passai quoi, deux jours, une semaine, à dormir à la belle sur les berges du lac - devenu l’espace sacré de mon récit – l’espace sacré de mon esprit. L’époque où, sidérés de voir ainsi un Occidental vagabonder seul, d’aimables Japonais me demandaient sans cesse : « Mais où est donc le reste de votre groupe ? ». Hakone - dernière vision, la neige du Mont Fuji, survolé au départ d'Haneda à destination d'Osaka, il y a cinq ans, à la saison des cerisiers en fleurs. Croiser mon héroïne dans une ruelle mal éclairée, tard la nuit, du côté de la gare de Shimbashi. Sentir que c’est elle. Découvrir son nom : Kaoru, parce que ce nom porte en lui le chaos, le rugissement des ardeurs folles. Trouver sa demeure, l’observer longuement, fermée infiniment, plus que poing sur la douleur - un kiosque traditionnel dans un parc de Tokyo, vers la mer. Savoir que c’est là. Savoir que ça a lieu. M’écarter de tout ça, m’arrêter, passer à autre chose. Tant de pages, intercalaires, perdues, ou publiées sous la forme trompeuse d’essais. Pour la beauté du mot : essai. Puis retour ; se laisser tirer par la manche par les personnages. Vivre au milieu d’eux. Apprendre à leur contact. Puis à nouveau oublier. Mais voilà qu’ils s’agitent, menacent, exigent de moi une fin. Je la leur donne, un peu à contrecœur. Je n’aime pas ce point final, j’aurais voulu garder ça ouvert encore, encore à venir. Je rêvasse un récit où un écrivain ne vivrait que le temps que son livre demeure inachevé ; dont la vie, au point final, serait tarie. Ecriture, le fil d’Ithaque qui va et vient, suspend les heures. Voilà peut-être l’explication du pourquoi tout ce temps. Tenir l’ouvert. Savoir ne pas achever un livre. Faire de l’écriture le champ d’une expérience infinie, le temps, infini, d’une vie, d’une conscience.