Thoreau
il a déserté la cabane
deux mots avant de mourir :
« Orignal »
« Indien »
Suis parti à mon tour
en quête
de l'Orignal Indien
la douleur garde-toi d'en guérir on ne guérit pas d'être on ne saute pas par dessus soi la douleur juste lui trouver, exacte, une place - et de là regarder
Juste une pierre qui roule
('coute ça)
Il était une fois ce temps où tu étais si belle
Tu filais un peu de fric au clodo, ça fait un sacré bail
Pas vrai ?
Les autres te disaient fais gaffe poupée tu vas finir par te planter,
Tu croyais que c’était juste pour se moquer de toi
Toi tu te foutais tellement de tous ceux qui zonaient par dehors
Maintenant tu as cessé de la ramener
Maintenant c'est sûr tu frimes moins
A force d’avoir sans cesse à mendier
Ton prochain repas
Qu’est-ce que ça fait
Qu’est-ce que ça fait dis-moi
D’être à la rue
Pire qu’une paumée
Une pierre qui roule
Ah c’est vrai
T’as eu droit aux meilleures écoles, c’est un fait Miss Lonely
Mais qu’est-ce que tu y as fait d’autre
A part te défoncer
Personne ne t’y a jamais appris à te débrouiller dans la rue
Maintenant il va vraiment falloir que tu t’y fasses
Tu prétends que jamais
Tu ne négocies
Avec le clochard mystère mais là tu
Réalise
Un simple alibi
Tu fixes le vide
De ses yeux
Tu dis
Est-ce qu’on peut faire un deal ?
Qu’est-ce que ça fait
Qu’est-ce que ça fait dis-moi
D’être larguée à ce point
Sans espoir de retour
Une parfaite inconnue
Une pierre qui roule
Ah non jamais
Tu ne t’es retournée pour voir les trognes
Des jongleurs et des clowns qui faisaient tous leurs tours
Jamais compris qu’il ne faut pas laisser les autres
Trouver le kick pour toi
Tu montais un cheval de chrome avec ton
Diplomate
Celui qui portait un chat siamois
Sur son épaule
De découvrir qu’il n’était pas vraiment
Celui qu’il prétendait
Une fois qu’il t’a volé
Qu’est-ce que ça fait
Qu’est-ce que ça fait dis-moi
D’être larguée à ce point
Sans espoir de retour
Une parfaite inconnue
Une pierre qui roule
Ahhhhhhhh –
Princesse en son donjon et toute sa petite cour
En train de picoler en pensant combien
Ils ont réussi
Echangeant leurs présents fastueux
Tu ferais mieux
De prendre la bague en diamant
Pour aller la foutre au clou, p'tite
Tu rigolais tellement
De ce Napoléon en haillons
Et de la langue grotesque dans laquelle il s’exprimait
Va le retrouver, le voilà qui t’appelle, ça se refuse pas allez
Quand t’as plus rien
T’as plus rien à perdre
T’es devenue invisible, plus de secrets
A dissimuler
Qu’est-ce que ça fait
Qu’est-ce que ça fait dis-moi
D’être larguée à ce point
Sans espoir de retour
Une parfaite inconnue
Juste une pierre qui roule
(Like a Rolling Stone, Bob Dylan, 1965 - Nouvelle traduction G.L).
"Cette musique ne trouve jamais foyer chez quiconque s'en réclame et cherche toujours un nouveau corps à habiter, une nouvelle chanson, une nouvelle voix". (Greil Marcus, Like a Rolling Stone - Bob Dylan à la croisée des Chemins, Points-Seuil).
Like a Rolling Stone : et le barde devint le rimbaud électrique. Chiasme, traversée du miroir. Comment ne pas savoir, après ça, comment bougent les choses...
Cette descente en piqué que représente Like a Rolling Stone, ce raid, ce Pearl Harbour musical qui prit tout le monde de court au printemps 65, Dylan le premier – mais qui ne renie rien, ni le Mayflower ni les indiens massacrés ni les hobo anarcho-syndicalistes de la grande dépression ni les pendaisons joyeuses justifiées par des couleurs de peau – qui ne renie rien et prend le tout, pousse le tout, charrie le tout, ce Pearl Harbour où se reconstruit pourtant une amérique possible, et où cette amérique possible sut si bien se reconnaître, sur le mode d’un « et cependant », d’un « peut-être », belle qui danse encore si haut alors qu’elle tombe déjà - « how does it feel » et seule l’orgue répond sur cinq notes affolées, pas les mots mais les modulations de la voix, ce jeté à la face, ce pas de réponse, c’est pas contre elle, la belle, c’est contre ce destin qui si soudainement s’inverse - « with no direction home » - et te fait basculer cul par-dessus tête dans le grand anonyme.
A visiter absolument : "Traduire Dylan", le très beau texte de François Bon sur http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article578
Lorsque le joli mois de mai déterrait ses pavés, cette expression, partout, héritée d'Heidegger : “D’où parles-tu ?” Magnifique trait d’union
d’esprit à esprit, véritable accueil de la parole autre. Parce que souci de ce paysage depuis lequel. Toujours cette question du lieu et de la formule. Accueillir cette parole autre. Accéder
à la territorialité qui en assume l'énonciation. Faire mouvement vers un lieu de parole qui nous est inconnu, c'est faire, au sens où je l'entends, "littérature".
Courir le neuf. La langue neuve. Comme une calandre. L’odeur du neuf. Voiture neuve. Costume neuf. Il faudrait ça, comme dans la publicité, les dépliants, du neuf absolument. Que ce soit en littérature, en produits manufacturés, en rencontres amoureuses. Du neuf ! Seul le neuf fait événement. Seul le neuf porte nos désirs. Du neuf pour exister ! Si c’est nouveau c’est déjà vieux, pourtant. Avant-garde par mégarde, sinon rien. Chercher dehors. Une écriture diagonale. Ce biais. Ce ressaisissement toujours possible. Dire ce monde, sa distraction. Ou lui permettre de se dédire. C’est selon. Il ressemble à ces silhouettes dessinées à la craie sur les scènes de crime. La position exacte dans laquelle elles sont tombées, abattues. Leurs blessures. Leurs coulures. Leur absence. Définitive. Elles scintillent dans les mémoires comme l’écran de neige à la fin des programmes lorsqu’il existait encore pour le repos de tous une fin aux programmes. La réalité. Quelle réalité. Cette violence qu’elle inaugure. Doux vague et mortellement étrange comme la planche à la piscine et les oreilles pleines d’eau. Ce monde, donc. C’est là le commun de tout ceux qui n’ont rien en commun. Quels méandres. Quelles mémoires ? Si le mot « liberté » ne t’a pas libéré oublie-le une bonne fois. Inscris-le sur un bout de papier. Va l’enterrer tout au fond du jardin. Au fond du fond. Et plus loin encore. Garde-toi d’avoir jamais la tentation de l’exhumer. Depuis la rue les intérieurs aux reflets bleus subaquatiques des télés qui tournent à plein régime. Trouver dans ce bain bleu ce qui manque à ta langue ? Non. Trouver la terre sous ta langue. Ce goût de sel dans les effluves du fleuve. Tout un livre de phrases inutiles mais qui fabriquerait sans le savoir autre chose d’utile, on ne sait pas quoi, ça n’a pas de nom encore. Une lacération méthodique. Sous l’affiche d’aujourd’hui l’affiche d’hier puis celle d’avant-hier. Jusqu’au plus noir, le plus crasseux, le plus indiscernable, à gratter avec l’ongle. De retour chez lui l’écrivain a été sauvagement agressé par ses personnages, revanche de la fiction sur la réalité (Affaire Jourde, 28/06/2007). Mais qu’est-ce que le lieu de la naissance sinon immédiatement ce qui t’expulse, te laissant à ton nom imposé, à ta langue imposée, texte garanti d’origine placardé dans ton dos tel un homme sandwich d’autrefois, rêves insomnies et mémoires pris au trébuchet aveugle du natal, texte à découper suivant les pointillés, réponse avant le tant, mais toi tu ne marches pas, sortir de tes géographies minuscules, de tes grotesques héritages, grommellements de patois aux senteurs de garrigues, tu te retournes vers le silence, ce dernier est assis sur le banc le béret enfoncé sur les yeux deux mains sur le pommeau de sa canne, il te regarde par en dessous avec l’ardeur sournoise des brise-glace, tu rêves de nuits dans la forêt, de cabanes sur le lac, de vieux pontons en bois où traîne encore la corde des barques disparues, la femme s’approche, la voilà elle s’allonge sur toi, sauvage, elle te lèche les paupières à grandes eaux, pour te faire taire, pour regarder dans tes yeux quand ils s’ouvrent.
Ecriture, réalité. Que nous dit la fiction sur l’état de notre réel ? Retour sur ma rencontre avec Mario Vargas Llosa. Bordeaux, avril 1987. Mario n’est pas encore le fan de Thatcher qu’il s’apprête à devenir. C’est un écrivain dont j’apprécie l’écriture, sa modernité. Il a pour un temps trompé la vigilance de sa petite cour très ridicule qui se déplace partout avec lui, six ou huit mémères emperlousées et quelques pommadins de la culture locale, très excités de se trouver là mais faisant des efforts manifestes pour faire comme si tout ça leur était naturel. Mario au soleil sur les marches du Centre André Malraux, avant la représentation de sa pièce, La Demoiselle de Tacna.
« Nous sommes toujours plus pauvres de ce que nous rêvons », affirme l’écrivain péruvien. Mais alors pourquoi nous racontons-nous des histoires ? « Peut-être parce que c’est ainsi que l’homme lutte contre la mort et les revers, il acquiert une certaine illusion de permanence et de dédommagement. C’est une façon de récupérer, à l’intérieur d’un système que la mémoire structure à l’aide de l’imaginaire, ce passé qui, lorsqu’il fut vécu, avait l’apparence du chaos… La fiction dit l’homme complet, dans sa vérité et son mensonge confondus ».
Le monde ne serait-il cohérent qu’à travers la fiction qui, seule, peut réparer les outrages de la mémoire défaillante, de l’inconscience, de l’incompréhension, de la folie furtive des événements au moment où ils ont lieu ? « La vérité des histoires ne réside pas en la ressemblance ou l’asservissement de l’écrit ou du dit – de l’inventé- à une réalité distincte, « objective », supérieure, mais en elle-même, en sa condition de chose créée à partir des vérités et des mensonges qui constituent la totalité humaine ambiguë ». La vérité de la fiction réside avant tout en elle-même.
Traverser le chaos, lui donner un ordre tout en ne trahissant rien de l’ambiguïté constitutive du réel. Comme si le monde ne prenait sa cohérence qu’à partir d’un dialogue entre réel et imaginaire, dialogue dont la littérature serait une des formes possibles. Le réel n’est après tout qu’une forme fictionnelle comme une autre. « Cet art du mensonge qu’est le conte est aussi, curieusement, communication d’une vérité humaine cachée ».
Au fond, tant qu’elle reste proche de ce chaos et de cette ambiguïté, la littérature s’avère tout à fait apte à « dire le monde ». Mais disciplinée, lissée jusqu’à faire disparaître toute trace d’ambiguïté, elle perd de vue la source qui lui donne vigueur. La fiction ne serait au fond que le fruit du combat perdu d’avance que l’homme livre au temps et à son propre désordre intérieur. Le coup comme toujours ne réussit qu’à l’équilibre : l’écriture doit donner forme, mais sans pour autant repousser la diversité et l’étrangeté de l’existence - ce foisonnement qui échappe à toute forme. Elle doit donc assumer sa vocation formelle sans rien abdiquer de cette fureur qui la nie. Apollinienne et dionysiaque, ainsi que Nietzsche nous l’a enseigné.