Au fond je ne suis qu'un vieil anarcho-surréaliste qui s'est perdu dans des "explications".
Au fond je ne suis qu'un vieil anarcho-surréaliste qui s'est perdu dans des "explications".
Les acquis conceptuels, en ce qu'ils viennent clore une question, un débat, font bien plus obstacle à l'avenir que les acquis sociaux qui, eux, relèvent d'un mouvement de conquête, c'est-à-dire d'ouverture.
Le rêve a pour mission de décomposer l'aléa; de revenir à ce moment précis où la main du destin n'a pas encore lancé le dès. Il nous entraîne vers une pensée de l'inattendu où toutes les évidences courent à l'envers. Il arrive que certains rêves lèvent un voile sur la réalité. Tout d'abord ils conduisent le réel en mode débrayage, le montre comme représentation pure. Or on peut toujours travailler une représentation, la transformer, revenir, corriger, répéter. C'est à quoi sert le rêve. Il essaye toute les clefs et lorsqu'une porte s'ouvre, on appelle ça "interprétation". Le rêve est entré en résonance avec la vraie vie, en correspondance. Il peut alors se montrer soit bénéfique soit destructeur.
L’idée de « commun » remonte du fond des âges. C’est le phénomène des enclosures, ferment du capitalisme naissant, qui y mit un terme. Réactivée par les alter-mondialistes et le mouvement des places, promue par le prix Nobel d’Economie 2009, elle trouve une singulière actualité dans l’intelligence partagée du web, ce « commun des connaissances ». Jusqu’à devenir le concept politique, mondialement émergent, le plus important de ce début de siècle.
Au moyen âge, on appelait «communaux » des lieux qui appartenaient à tous et à personne. Une tradition qui remonte au néolithique. C’est la terre que l’on cultive librement, le pré où l’on fait paître les bêtes (vaine pâture), la forêt « communale » où l’on coupe le bois de chauffage, le territoire où l’on chasse, où l’on glane, où l’on cueille. Les « communs » sont une libéralité féodale qui accordait au peuple un droit de jouissance sur certains espaces laissés vacants et adoucissait son servage. Le principe des « communs » marque la prévalence de l’usage collectif sur la propriété privée, dans un système de coopération et d’administration communautaire des ressources.
Du XIIème au XVIIème siècle, le mouvement des enclosures va mettre progressivement un terme à cette politique des « commons ». En Angleterre, la privatisation des terres permet d’accroître le rendement des parcelles (assolement) et favorise la révolution agricole. Le droit d’usage des communaux dès lors tombe en désuétude, provoquant une misère immédiate ainsi que des mouvements de révoltes (c’est notamment le cas en 1607 dans les Midlands). La désintégration sociale à laquelle il conduit va provoquer le premier exode rural, le développement de l’industrie et l’entassement du lumpenprolétariat dans des aires insalubres.
De sorte que la notion de « commun » n’a jamais tout à fait quitté les esprits. Elle animera tous les débats sur la propriété privée, de John Locke à Rousseau, de Thomas More à Adam Smith, de Proudhon à Karl Marx. Le mode de vie « communautaire », durant les années 70, fut une tentation pour des millions de jeunes gens de par le monde. En 1968, le biologiste Garrett Hardin, dans « La Tragédie des biens communs » pose le paradoxe des communs : les comportements individualistes de surexploitation entraînent fatalement l’épuisement des ressources collectives. Si les « communs » sont laissés à la discrétion de tous, ils sont donc voués rapidement à disparaître. Il n’y aurait donc de salut que dans la privatisation (appropriation) ou dans la nationalisation (étatisation). Mais Hardin est contredit par la thèse de l’américaine Elinor Ostrom. Celle-ci montre, au contraire, que certains groupes sociaux sont parvenus à un réel équilibre écologique dans la gestion des communs. Ce travail lui vaut le prix Nobel d’économie 2009. Tout repose, explique Elinor Ostrom, sur la question de l’accès aux ressources communes, qui doit être administré, doté d’un système précis de règles qui en définissent l’usage collectif pour le rendre tenable. Cette régulation de l’appétit individuel, en complète opposition avec le crash que vient alors de subir une finance mondiale livrée à elle-même, remonte en fait aux premières organisations humaines.
Si le « commun » a pu perdre de son lustre dans les impasses du « communisme», la violence du choc libéral qui mit brutalement fin aux 30 Glorieuses l’a remis sur le devant de la scène politique. Alors que le concept de « révolution » paraît trop sulfureux, pétri de ses ambiguïtés constitutives et de ses faillites historiques, celui de « commun » semble un bon candidat pour se substituer à lui. La révolution, c’était le tremblement prémonitoire de la démocratie dans un mouvement qui la fait advenir mais ne la contient pas. Le commun au contraire, c’est à la fois le moyen de déployer la démocratie et la démocratie elle-même. Il n’existe pas de commun en dehors du geste même qui l’institue, c’est-à-dire en dehors de la mise en commun. C’est une pratique qui institue un principe, et non un principe qui impose une pratique.
Face à tous ceux qui pensent désormais « l’effondrement » (du système économique, de la civilisation occidentale, de la biosphère) sur le ton de la déploration, le « commun » vient à point nommé pour relancer les utopies : pacifiste, optimiste, fondé sur la mutualisation, la coopération et le partage, il représente un point d’émergence où se rencontrent la nouvelle techno-logique réticulaire, avec ses échanges numériques de pair à pair et la création d’un nouvel espace d’intelligence collective ; un outil de résistance efficace face à la privatisation de tous les cadres d’existence et la nécessité de nouveaux espaces de solidarité ; une conscience historique portée par un réel désir d’avenir. Au point qu’il est désormais considéré comme l’un des grands concepts politiques de ce début de millénaire.
Face à ce nouveau mouvement d’enclosure à l’échelle de la planète que constitue la mondialisation, un mouvement inverse de « disclosure » est désormais à l’œuvre : lors du Forum social Mondial de Belem au Brésil, en 2009, fut lancé le « Manifeste pour la récupération des biens communs » : « La privatisation et la marchandisation des éléments vitaux pour l’humanité et la planète sont plus fortes que jamais. Après l’exploitation des ressources naturelles et du travail humain, ce processus s’accélère et s’étend aux connaissances, aux cultures, à la santé, à l’éducation, à la communication, au patrimoine génétique, au vivant et à ses modifications ». En juin 2012 était même proposée une Déclaration universelle du bien commun de l’humanité. Les communs nouveaux annoncent au plan mondial l’aspiration citoyenne à de nouveaux modèles sociaux, au sein d’une économie écologiquement soutenable et socialement solidaire.
Gérard Larnac
Décembre 2016
La révolution, c'est le tremblement prémonitoire de la démocratie dans un mouvement qui la fait advenir mais ne la contient pas.
Exister, c'est porter sa propre contingence dans le champ de la nécessité.
sur le chemin des lucioles
redescendant avec la nuit
vers Hong Kong dans la brume
Vu à Kowloon
dans le quartier de Tsim Sha Tsui
le vieux clochard sur son banc
il ouvre le South China Morning Post
à la page des nouvelles de ce monde
- et il part d'un grand rire.
Où est Dylan ? Encore une fois, c'est l'incertitude : le prix Nobel de littérature 2016 n'a pas manifesté la moindre émotion depuis l'annonce de son élection. Il faut dire qu'un prix n'est jamais qu'un prix ; qu'il appartient à la douce contingence des hommes.
Mais sûr, Dylan Nobel ça en fait râler plus d'un. "Pas de la littérature", s'étrangle le choeur réactionnaire de la petite papauté culturelle parisienne.
Pourtant du mot "littérature" personne ne connaît l'origine. Voilà bien un objet que seuls les idiots s'ingénient à enfermer dans une définition.
Bob Dylan est sur la liste des "nobélisables" depuis 1996. Son oeuvre de troubadour, immense, funambulesque, est prodigieusement vaste. Il fut adoubé en son temps par Allen Ginsberg en personne comme le digne descendant de la tribu Beat.
Mais certains prétendront sans doute que Ginsberg n'appartient pas non plus à la littérature. Moi je me dis simplement que tant qu'elle peut encore nous surprendre, la littérature, c'est qu'elle est bien vivante.
Thanks for all, Bob.
et tandis que c’est
là
une présence venue de loin
qui
te
regarde
et
pour finir
qui te
soulage
comme te soulagerait
la discrète proximité
d’un compagnon de bagne
que tu te serais inventé
mais rien rien
rien de bien
mystérieux
là-dedans
le noir est simple
comme le bon vin
c’est comme un souffle qui s’avance
à travers le blizzard au moment où l’on s’apprête
à reconnaître un visage familier
ou encore
(le noir vois-tu ne manque pas de métaphores)
noir ce noir de paupières closes
noir ce noir élégiaque
appliqué à même la toile
au rouleau au pinceau
jeté comme ça peut
dévoilant au hasard quelques
formes sommaires
qu’il recouvre pourtant
maldoror est noir
comme est noir l’ostrogoth
quand sade est si pauvrement vert
de même que le sacrement
discipline est jaune de bile
quant à rigueur
il est rouge d’apoplexie
désordre est noir tout noir
de même que chaos
dehors est d’un beau noir très ample
tirant un peu sur le bleu
noir le pas tranquille de mon cheval
dans ma montagne afghane
noir le khôl
de la beauté
sous l’envol des fusées
aucune noirceur dans ce noir-là
rien d’excessif non plus
c’est un champ où
rien ne manque
parfait équilibre du noir
paix de la complétude
pas de ce noir qui accable la lune
et fait naître l’obscur
pas de ce noir du noir des consciences noires
non non
rien de tel
vraiment
noir ce noir de portes qui claquent
la vie passe par
là
avec ses courants d’air
lugubre cérémonial de qui veut se débarrasser
du noir
le noir ça se mérite
le noir ça se médite
à contempler comme il advient
advient sans cesse
ne cesse d’advenir
il faut sans doute
approfondir le noir
comme le vieux paysan
ritournelle son
sillon
sans jamais lever les yeux
jusqu’à ne faire qu’un
avec le poids de la terre
retournée
à pas d’indien
toujours
arrive le noir
il se glisse dans la pièce
et tout à coup c’est
là
ultime de présence
tu fais comme si tu ne t’apercevais de rien
bien sûr
car on dit que le noir
en de certains soirs
est susceptible de rendre
fou
pour ma part je n’en crois rien
mais sait-on jamais
(sur le noir tant de bêtises proférées)
ou parfois le contraire
il te semble que le noir
a toujours été là
sous un aspect ou un autre
qui ne nous le laissait pas connaître
autrement que par de certaines
vibrations atmosphériques
il n’a tenu qu’à toi
de le révéler tel
l’éveil au noir
comme un envol de signes sauvages
aux premières neiges du moine calligraphe
le noir n’existe pas
il est le nom que tu donnes
à la résistance du monde
peut-être n’as-tu peins le tableau
que pour la présence de ce noir
et ce regard par dessus ton épaule
que sais-tu des multitudes
le noir lui
sait
le noir funambule et
précaire
comme une œuvre que l’esprit
s’acharnerait à tort à vouloir
compléter
comme utilement il complète lui-même
toute écriture
et la conduit paisiblement vers l’indéchiffrable
qui seul est sa juste
demeure
le
noir
dans sa débusque de lumière
rien de plus humain que le noir
de plus joueur
un humain qui serait ouvert
à tout ce qui l’excède
reste là face au noir
longuement
longuement
à te demander
de lui ou de toi
qui sera le premier
à rompre ce tête-à-tête
-- et j’entends dans le noir
cette rumeur d’aube fraîche et de
caravanserai
Gérard Larnac septembre 2016.