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26 février 2009 4 26 /02 /février /2009 11:23

Invité l’autre soir à participer à la conférence-débat autour de l’œuvre de l’unique et nécessaire J.F Rocking Yaset, à l’occasion du vernissage de la très belle expo que lui consacre l’IUT de Caen (Campus III, Ifs). Précurseur de la Free Press à la française, pape de l’underground, Jean-François Yaset est un éternel jeune homme dont les frasques étonnent, détonnent, amusent ou consternent depuis 1967. Un an avant le joli mai de l’esprit, Yaset fonde « Quetton » (« âne », en normand dans le texte), revue « tapée à la machine » mais surtout sacrément frappée, bordel savamment provoc et foutraque où se mêlent interventions dadaïstes, délires gaiement éthyliques, imprécations à la Artaud, gueuloir politique ; ça bouffe du curé, du flic, du notable, du politicard, que c’en est un vrai bonheur. Devant ce pavé-là les bienséants en restent sur le cul. Yaset serait sans doute anar si les anars avaient lu Jarry et pratiquaient l’humour. L’humour ? C’est là chose sérieuse. Yaset s’y emploie, à plein temps. Mozart de la dérision, poète pataphysique (son travail lui vaut le Prix Saussure, soit son poids en plans de la ville de Romorantin), organisateur d’happenings improbables (un opéra de chats sur la place Saint-Michel qui finit bien entendu au ballon), fondateur de groupes de rock dont la seule vocation consiste à ne jamais jouer mais à se faire photographier dans des poses de stars, il fait venir Gene Vincent à Saint-Lô, fréquente les Kinks, les Pretty Things, les Animals (et même la belle Marianne Faithfull), rencontre Dali et Dylan, est adoubé par Raymond Queneau et Philippe Soupault (sa trilogie d’écriture sous contrainte est une perle, Visite au Musée de Chuprélo notamment me ravit encore, vingt ans après l’avoir découvert !), collabore avec les ancêtres allemands du rock progressif, avec Hara Kiri et Fluide Glacial, fait passer un vigoureux courant de franche déconnade dans l’art sous ses formes multiples : poésie, sculpture, peinture, BD, performance… Provocateur par pente naturelle et non par pose ni affectation ni stratégie, c’est un autodidacte, sorte de farceur Cheval rock’n roll et rebelle. Libre de tout, il ne recherche aucune forme de reconnaissance. Il a l’éternité devant lui.

 

Voilà, c’est tout ça, Yaset, et même ce petit plus qui en fait un ami. Pour sa conf à Caen il me voulait à ses côtés ; grand plaisir de monter avec lui sur l’estrade devant un public assez fourni d’étudiants. Salle comble pour l’underground. Curieux, la vie. Notre seule et unique rencontre remonte au début des années 80 et nous ne nous étions jamais revus. Comme quoi l’estime et l’amitié ne se mesurent pas aux « zapéro pour samdi soir », aux « fallait pas » « mais si mais non » des simagrées civilisées. Nous sommes deux barbares. Nous assumons. « Side man » de Rocking Yaset, eh bien ce fut un vrai grand moment comme je les aime. Des jeunes gens avec des yeux comme des soucoupes, un peu secoués quand même devant la lecture-performance du bonhomme, mais avides de comprendre cet artiste qu’une société édulcorée, pré-formatée, a rendu passablement inaudible. Passer le mur de l’incrédulité, quelle aventure !

 

Dans mon intervention j’ai juste resitué la free-press dans un contexte large, en rappelant notamment que l’invention du journal par Théophraste Renaudot (La Gazette) n’avait d’autre objet que de « vendre » au peuple la nouvelle guerre de Richelieu et de faire taire les petites feuilles contestataires qui la dénonçaient. Une phrase qui a bien plu, lâchée par inadvertance comme une hache trop lourde : « Si la presse était libre, il n’y aurait pas de Free Press ». Le journalisme du main stream, depuis son origine, ne prend la parole que pour en confisquer d’autres (C’est d’ailleurs l’objet de mon livre La Police de la Pensée).

 

Il m’a semblé qu’à travers l’exposition autour du travail polymorphe de Jean-François Yaset, c’est à l’authenticité de l’art, à son urgence que l’on rendait hommage. A la fonction fondatrice, novatrice, sociale, existentielle, salvatrice de l’art. Un hommage à quelque chose qui n’a pas disparu, mais qui veille, mais qui vient. Yaset n’est ni un monument historique ni une curiosité ; mais le premier d’une espèce à venir. Formule ? Que non ! Aujourd’hui nos centres ont explosé : la ville (11 septembre), le système (crise financière, sociale et civilisationnelle), etc. A cette explosion des centres répond le retour des marges. De nouvelles relations se nouent en réseau, de lisère à lisière. L’avenir ne se joue plus au centre, mais dans les marges, les périphéries. Et grâce à des artistes comme Yaset, croyez-moi, nos marges, elles sont solides !   

 


Exposition de J.F. Rocking Yaset

Du 23 février au 13 mars 2009

IUT de Caen – rue Anton Tchekhov, Campus III 14123 Ifs.

Entrée libre
sortie aussi
 

 

 

Yaset sur la Toile :

 

http://www.myspace.com/rockingyaset

 

http://quetton.over-blog.com
 

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