L'art qui vient est un art des lisières, des terres de rencontre. Le
siècle qui s'annonce est celui des grandes migrations, des grands métissages. Sédentaire et nomade : deux mots qui se mêlent et perdent peu à peu leurs sens anciens ; parce
qu'aujourd'hui le mouvement est partout. Nous assistons à la fin des continents, de la pensée-continent. Est venue l'ère des flux.
Combien de présences invisibles,
là-dessous, tandis que votre Boeing passe comme une ombre au-dessus de la grande forêt amazonienne, entre Belem et Manaus ? Qui va savoir nommer les choses lorsque la langue de ces
invisibles sera tarrie tout à fait ? Leur "donner la parole", selon le voeu de Raymond Depardon, pour sa magnifique expo de la Fondation Cartier (Paris)."Donner la parole": mais
nous n'avons pas à la donner. Elle existe indépendamment de nous. Nous n'avons sur elle aucun droit, aucune prérogative. Ce que nous pouvons offrir, c'est notre écoute.
Terre-forêt. Les esprits sont morts et nos pensées sont vides. Les hommes blancs sont venus. Ils ont dit la forêt est à nous et nous nous avons ri, comment confisquer l'air qu'on respire. On
n'aurait jamais cru une telle chose possible. Nous savions vivre dans la forêt. Nous n'étions pas pauvres, alors. La terre-forêt, ce n'était pas seulement un territoire, c'étaient aussi nos
ancêtres, nos enfants, les eaux auxquelles nous abreuver, le gibier pour satisfaire notre faim, les mythes qui soutiennent notre réalité. Notre pouvoir est très ancien, mais je ne me
souviens plus des paroles sacrées. Personne ne sait plus qui il est. Nous sommes les derniers. Voilà la vie que je mène. L'homme blanc a laissé son avidité empoisonner son esprit, il a
oublié le temps du rêve. Il n'entend plus les esprits de la terre-forêt. C'est comme ça. Ce dont on ne peut plus parler, mieux vaut le taire.
TERRE NATALE - Raymond Depardon-Paul Virilio
Fondation Cartier (Paris) jusqu'au 15 mars 2009.
http://fondation.cartier.com/main.php?lang=1&small=0