Quel échec que le web de création littéraire ! Surtout comparé aux sites d'information littéraire, ces passeurs admirables. Pauvres collections de manuscrits un peu tocards publiés
"live", sans aucun tri, quand ce n'est pas carrément commercialisés, comme si le manuscrit n'était pas au contraire ce long cours du texte intime, cette germination lente et secrète qui ne
doit précisément éclore au public qu'entouré des mille soins d'un éditeur attentif, fruit d'un long tête à tête raisonné entre l'exprimable et le recevable... Comment sauront-ils, ces
auteurs trop tôt venus, le prix de l'attente, du long hiver artiste, des tempêtes intérieures - le vrai de vrai désir de parler à sa tribu, cette force qui pousse à l'inventer de rien,
cette tribu, si besoin est ? Que sont donc ces textes d'office présentés-vendus à d'éventuels lecteurs, sinon impudeur abjecte, crasse vulgarité ? On pose à l'auteur, on pose à
l'écrivain. Mais où a-t-on vu que pour écrire il suffisait d'écrire ?
Et le livre numérique ? La nouvelle vague des e-book propose une capacité de stockage mémoire équivalente à 160 ouvrages. Très bien. Formidable. Mais pour quelle raison emporterais-je
160 bouquins, ça, je vous le demande un peu ? Une Pléiade suffira toujours amplement à remplir mes congès payés sur mon île déserte, et sinon ma bibliothèque, plus proche des 6000
livres, a tout pour combler mes fringales ; à quoi bon alors un objet, moderne, ô moderne, mais dont le temps d'usage n'existe pas ? Ce positivisme hystérisé de
bobos ignares et de techno-réac commence à me taper sur le système; ainsi il faudrait tout avaler, au prétexte que c'est là... Non messieurs, remballez vos PLV vos pubs et vos notices,
ne gadgétisez pas un peu plus la littérature, pour ça on a déjà Angot.
Parfois je me surprends encore à parcourir ces sites réputés en pointe en matière de textes numériques, d'expérimentations web. "Précurseurs", comme ils se nomment eux-mêmes
sans rire - car l'humour manque, considérablement, dans ce petit réseau des "geeks" littéraires, un rien dadais, vétilleux, consanguins et abominablement conformistes. So what ?
Que disent-ils de plus d'un texte qu'un Butor qu'un Perec qu'un Breton n'aient pas déjà dit ?
Franchement ? Rien.
Le web est un atelier. Un ban d'essai. Un lieu modeste où il fait sombre encore. On esquisse, on tente, on expérimente. C'est un honnête moteur à textes. On s'exerce, on s'astreint. Une
bonne école pour des scripteurs peu sérieux comme moi. Un stimulant. Mais rien de plus; ce serait, sinon, confondre l'amour avec le viagra.