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12 janvier 2008 6 12 /01 /janvier /2008 14:17
J’admets ma mort. Non plus comme un accident, une impropriété de la nature, une rature, une défaite. Mais comme chose à l’égal des autres choses, rajoutée à la série : ce bol que j’ébrèche, cette plume qui crisse, le souffle plus ou moins proche des bombardements, la branche qui ploie sous la bise automnale, la ramette de papier quatre-vingt dix grammes, ce livre que je prends, ce livre que je pose, ces quelques légumes ramenés du dehors, le cri dans la rue de quelqu’un qui demande des nouvelles, le poste de télévision branché sans interruption sur les informations, toutes ces choses, toutes ces choses, avec ma mort au bout.

 

Elle est là. Tout autour de moi. Dans les écritures serrées de tous ces livres que je n’ai eu de cesse, ma vie durant, d’accumuler autour de moi.

 

Il y a ce pays, avec ses îles et ses oliviers ;  et puis tous ces ports, ces passages à travers le grillage où se sont si longuement mêlées les langues et les sangs. Le sourire éblouissant des filles d’ici est né de l’oubli de nos origines. De ce mélange.

 

Mais ce soir il y a aussi peu d’avenir pour les sourires que pour le sans origine. La liberté de n’être de nulle part nous est désormais refusée. Il faut en être ; d’ici ou de là. Dire son camp. De quel côté de la canonnière.

 

Nous flottons dans nos vêtements, trois ou quatre tailles en dessous de nous-mêmes. Nous nous habituons à ce flottement, à ce vague. A ce gris parcheminé de la peau. Chacun portant aux yeux de tous la trace de notre disparition programmée.

 

Au début une seule question : est-ce cela la peur ? Et puis comme une gêne : laisser un cadavre. Une trace que je laisserai à d’autres, des inconnus, le soin d’effacer. Mourir, oui. Mais laisser ce cadavre.

 

Aussi la gêne finit par rendre la peur plus incertaine. C’est drôle comme les convenances nous préservent des gouffres.

 

Cette mort et ces livres accumulés. Ce besoin des mots des autres.

 

Et maintenant : quoi ? Quoi devant cette violence ? Que disent-ils, ces mots ? Que nous enseignent-ils, maintenant que nous glissons toujours un peu plus vers le désastre ? C’est que peut-être la question de Montaigne « Que sais-je » n’est plus d’actualité. Aujourd’hui, la question serait plutôt : « Qu'avons-nous fait de ce que nous savions ? ». Que faire de ces mots, que faut-il surajouter à la culture pour qu’elle se fasse conscience.

 

La violence du XX ème siècle nous a accoutumé à ce perpétuel viol des foules, la guerre là, immensément civile, immensément répandue entre les murs effondrés des maisons ouvertes de force. Les cris des familles. Des hommes que l’on tue. Des femmes que l’on emmène. Des enfants aux yeux secs errant dans les décombres. Notre vie passée à consentir à cette dépossession. Nous sommes pris dedans ; dans un dedans de sirènes et de tirs de batteries  anti-aériennes. Un dedans d’écroulements, d’explosions. Entre missel et missile.

 

Les gens qui courent dans les rues. Le regard en coin. Toujours un peu honteux de cette hâte qui dit aussi la faiblesse de chercher un abri. Chercher à échapper aux balles des snipers. Y a t-il une faute à vouloir ainsi continuer à vivre, malgré tout ?

 

J’ai connu autrefois un vieux pianiste juif qui, au camp de Birkenau, interprétait chaque jour, au moindre instant de solitude, des symphonies muettes sur un clavier dessiné à la craie sur le sol. C’est parce qu’il entendait distinctement chaque note de la musique qu’il jouait qu’il avait survécu, c’est en tout cas ce qu’il prétendait.

 

Oser un tel livre.
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commentaires

G
OSER L'IMPUDEUR<br /> <br /> De rêves pimpants hauts en couleurs<br /> Chacun tire sa partition<br /> Rien ne viole l'immensité<br /> Dont de légères palpitations<br /> Parcourent le derme de corne<br /> Dessinant des sillons fugaces<br /> Emplis de fumerolles de grisou<br /> Dans les capillaires qui plongent<br /> Par l'hymen du velours<br /> La saveur sauvage des hibiscus<br /> N'a d'égale que la mélodie<br /> Qui se répand en volutes mordorés
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S
Qu'il est dur d'écrire, qu'il est dur d'achever ces pages blanches où la clameur et l'envie se chamaillent sans cesse.
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T
C'est tout simplement beau.<br /> Ma quête, c'est le beau.<br /> Il est beau ce site.
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M
Oui, c'est certain : je ne sais pas pour la chanson mais avec une bonne connaissance et un grand amour de quelques symphonies ou grandes oeuvres musicales, on peut survivre au pire<br /> Cela j'en suis persuadé : "la musique est une révélation plus haute que toute sagesse et toute philosophie" disait Beethoven, le compositeur de la "grande fugue"<br /> Hélas et ce n'est pas une nouveauté, l'amour de la musique classique est un domaine qui reste encore trop élitiste et confiné<br /> De ce point de vue, on peut dire que la littérature, de nos jours, coule abondamment tandis que la musique classique est remplacée par la chanson (on peut dire depuis 1977, mort de Stravinsky)<br /> C'est pourquoi Ferré dans une chanson dit : "nous la musique c'est dans la rue qu'on la veut" et qu'il égratigne au passage Pierre Boulez et l'institution musicale qui va avec, institution musicale qui s'enferme et qui s'éloigne toujours un peu plus des gens, niant par là-même sa véritable vocation qui est d'être accessible à l'écucation dès le plus jeune âge, au même titre et avec tout autant d'ampleur que le français ou les mathématiques<br /> Défois je me dis qu'il faut peut-être plus faire confiance aux musiques du monde, aux musiques populaires, étant donné la situation (la chanson et le rock, ça peut-être bien mais ce sont des terrains musicaux qui ne doivent pas écrabouiller les autres)
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G
Note de bas de page : Chapitre 1 d' "Etat de siège", roman abandonné.
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