La reprise internationale qui se dessine chaque jour un peu plus nettement ne doit pas masquer pour autant le marasme de la consommation intérieure. La modération salariale, la pression fiscale et le gonflement des dépenses contraintes ont ôté au consommateur toute marge de manœuvre. Et devant le manque de certitude au regard de son avenir, celui-ci ne semble toujours pas décidé à puiser dans son épargne. Résultat : une ambiance de quasi-dépression et un arbitrage de crise prolongée qui pèse durablement sur la consommation.
Pour les entreprises, l’impossibilité de répercuter les hausses de prix et de charges fait planer une menace déflationniste. La demande se raréfie, les marges se compriment : avec un effet désastreux sur les emplois et les investissements.
Curieux moment que celui que nous traversons actuellement. Malgré le brouillard certains faits nouveaux commencent cependant à être attestés. Nous sommes passés de la croyance en la fable des crises conjoncturelles de réajustement cyclique à la certitude désormais partagée que nous traversions une « crise systémique ». La distance s’accroît considérablement entre ceux à qui profite la crise parce qu’ils jouent sur le marché mondial et l’économie virtuelle, et ceux qui en sont les victimes parce qu’ils sont restés dans l’économie réelle et perdent leur emploi sans espoir d’en retrouver un autre sous un délai raisonnable. On ne peut donc parler de « déni » français, dû à on ne sait quel refus congénital de regarder l’avenir en face ; mais bien d’une rupture entre deux catégories qui ne partagent plus aucun intérêt commun. Il n’existe plus désormais de compromis social entre les différentes couches de la population. C’est nouveau, et c’est explosif.
Une situation d’inégalités grandissantes d’autant plus préoccupante que de plus en plus d’études révèlent que la France n’est pas ce modèle social généreux que l’on prétend. Le système socio-fiscal s’avère en fait peu redistributif au regard de nombreux pays. Le transfert monétaire des catégories aisées vers les plus modestes y est moins élevé qu’ailleurs. Les classes moyennes supérieures contribuent davantage à l’impôt que les 10% de la population les plus aisés ; tandis que les classes moyennes inférieures sont peu soutenues, contrairement à ce que l’on observe en Finlande, en Suède, en Italie… mais aussi en Irlande et au Royaume-Uni !
La question des inégalités a été récemment relancée, non par quelque gauchiste exalté, mais par les instances économiques les plus sérieuses. Que ce soit dans l’enceinte du FMI ou dans le cénacle de Davos, on commence en effet sérieusement à s’interroger : et si les inégalités pesaient sur l’efficacité même de l’économie ? Dans son rapport de février dernier intitulé « Redistribution, Inégalité et Croissance », le FMI affirmait par exemple que les inégalités étaient une cause déterminante de la permanence de la crise. Et qu’à l’inverse, un niveau approprié de redistribution aurait une incidence bénéfique sur le retour de la croissance.
Au chômage de masse apparu dans les années 80 est venu s’ajouter, depuis la crise des emprunts toxiques américains de 2007, le poids de la dette. Rembourser la dette, c’est plus de chômage donc plus de dette. A ce niveau d’absurdité, ce n’est plus de l’économie, c’est un sketch à la Raymond Devos ! Pris en tenaille entre ces deux impératifs inconciliables, le système est tout bonnement en train de s’effondrer sur lui-même. La seule issue consisterait à « penser en dehors de la boîte ». Quel sera donc le deus ex machina ? Le dénouement n’est peut-être pas si lointain. Poussée par l’innovation, une véritable « troisième révolution industrielle » est en effet en train de se profiler. Dans un bel exemple de mobilisation et de mutualisation des compétences, toute la région Nord-Pas de Calais s’active actuellement à donner corps aux thèses de Jeremy Rifkin sur la transition écologique (à partir d’une synergie entre énergies renouvelables et technologies Internet). C’est sans doute la grande chance dans l’histoire chaotique des hommes que de n’avoir jamais achevé un cycle d’évolution avant d’avoir inventé l’outil lui permettant de s’adapter au cycle suivant. Tel est ce qui est en train de se passer sous nos yeux. Nous sommes sortis du XXe siècle, qui aura certes été le plus violent de tous, mais munis d’une connexion Internet !
Après des décennies de soumission inconditionnelle au dogme de la dérégulation, la soudaine prise en compte de la question des inégalités par les analyses officielles marque un tournant fondamental dans la pensée économique dominante. Quant à la perspective d’une troisième révolution industrielle, elle offre un cadre inédit pour repenser à nouveaux frais les rapports entre pacte social et compétitivité soutenable. Une nouvelle aventure à écrire.